Retraites : La macronie court droit dans le mur
Alors que la bataille contre la réforme des retraites fait désormais rage à l’Assemblée nationale, on s’active dans les syndicats pour entretenir la flamme.
dans l’hebdo N° 1590 Acheter ce numéro
Deux mois de grève, des dizaines de rassemblements partout en France, des centaines de milliers de personnes dans la rue, des violences policières, des bourdes politiques… La réforme des retraites vire au cauchemar pour l’exécutif. Entêté, borné, méprisant, le gouvernement essaie de sortir au plus vite de cette désastreuse séquence. « Ils font tellement d’erreurs… » se désole un député.
Alors que l’on assiste à une (légère) accalmie de la contestation dans la rue, à l’Assemblée nationale la bataille fait rage. Au sein de la commission spéciale tout d’abord. Mise en place la semaine dernière, elle a clos ses travaux mercredi 12 février sans avoir pu étudier les près de 22 000 amendements (dont plus de 19 000 déposés par La France insoumise), malgré la réduction des temps de parole. Nul doute que la bataille se poursuivra lundi 17 février, en assemblée plénière, où le texte de loi sera présenté. L’urgence – et une cote de popularité en chute libre – oblige la macronie à avancer à marche forcée. Le gouvernement espère faire voter le texte le 3 mars !
« On ne peut pas passer en force sur cette question », estime Matthieu Orphelin, qui a quitté le groupe LREM en février 2019. Alors que l’Unsa, FO et Solidaires promettent pour ce lundi une « journée morte » dans le métro parisien et qu’une pétition, qui comptait déjà 18 000 signataires au moment de notre bouclage, appelle Emmanuel Macron à soumettre la réforme des retraites à référendum (1), l’opposition ne désarme pas. « Rien n’explique qu’on aille aussi vite sur une réforme qui nous engage sur cinquante ans », s’alarme Sébastien Jumel, député PCF. Et déjà l’opposition envisage toutes les options pour retarder au maximum l’adoption du texte : « Nous allons déposer une motion référendaire, prévient le député de la Seine-Maritime, nous avons besoin de 58 signatures, avec les Insoumis et les socialistes, nous les avons largement. » Une motion de censure est également en préparation. En parallèle, les trois groupes de gauche vont multiplier les amendements et les défendre tous, pied à pied. Objectif ? Repousser le vote du texte au-delà des municipales. « Si LREM prend une claque, ils reculeront peut-être », espère Sébastien Jumel. D’autant que l’Assemblée tournera au ralenti durant deux semaines à partir du 6 mars, afin de laisser aux députés candidats le temps de faire campagne. « Si le gouvernement le souhaite, ils peuvent publier une circulaire et les débats reprendront immédiatement », rappelle Adrien Quatennens, député LFI. Pour les parlementaires, cette hypothèse sonne comme une menace : vote vite, ou tu ne feras pas campagne.
Même au sein de la majorité, le contenu de la loi, sa brutalité et l’empressement du gouvernement font débat. Les député·es LREM issu·es de l’aile gauche du groupe essaient, tant bien que mal, d’influer sur le texte. Matthieu Orphelin, Martine Wonner, Jean-François Cesarini et bien d’autres ont proposé des amendements. Et se sont fait taper sur les doigts. « La présidence du groupe s’est servie du nombre d’amendements de La France insoumise pour nous inciter à ne pas en déposer », explique Jean-François Cesarini. Or, pour voter la loi, ces parlementaires demandent de solides garanties : sur la pénibilité, sur les cotisations des plus hauts salaires, sur les modes de financement, etc. « En l’état actuel du texte, je m’abstiendrai », prévient Martine Wonner.
L’enjeu, pour l’opposition, est aussi de gagner le temps nécessaire pour que les syndicats rallument la flamme… Pour l’heure, la mobilisation est stable. Mais les journées de grève sont de plus en plus espacées et le front syndical connaît quelques couacs. La prochaine grève interprofessionnelle est programmée le 20 février, trois jours après celle des agents de la RATP. « On se pose beaucoup de questions : est-ce qu’on veut avancer ensemble dans le même sens ? » s’interroge Franck Minel, délégué Unsa RATP, qui regrette notamment que la CGT n’ait pas voulu embrayer sur le calendrier des agents de la RATP. Officiellement, la date du 20 février a été préférée par commodité, pour espérer mobiliser dans l’éducation, sur fond de vacances scolaires. À la SNCF, la mobilisation ne devrait pas dépasser le noyau militant. « Ce qui joue, au-delà des payes amputées, c’est que la perspective d’une victoire s’éloigne, parce que le mouvement ne prend véritablement nulle part ailleurs », souffle un cheminot de SUD Rail. « Nous ne sommes pas à la fin du mouvement, assure un autre. C’est dur, certes, mais les esprits restent mobilisés. »
L’intersyndicale laissera ensuite passer les vacances d’hiver pour programmer « de nouveaux temps forts de mobilisation, autour du dimanche 8 mars ». Annick Coupé, ancienne porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, observe avec circonspection la longévité du mouvement, en dépit de l’absence d’inflexion du pouvoir : « Le gouvernement a perdu la bataille de l’opinion, c’était loin d’être évident au début de la mobilisation, et il fait face à une colère sociale rampante qui n’est pas près de se taire », note la militante, aujourd’hui à Attac. L’heure reste donc à la mobilisation, assure Michel Beaugas, de FO : « Il faut continuer à pousser, parce que la majorité s’effrite et que la réforme n’est plus soutenue par personne aujourd’hui. »
Si d’aventure la loi était votée selon le souhait du gouvernement, il n’est pas sûr qu’elle passe le filtre du Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État avait déjà, en janvier, émis de sérieuses mises en garde contre le très grand nombre de recours aux ordonnances (29 en tout) qu’elle propose. Une coquille vide, en somme. Si le texte est retoqué, le camouflet pour la macronie sera terrible : toutes ces violences, tout ce sang, toutes ces pressions pour rien ?
(1) «Retraites : Monsieur le Président, soumettez votre réforme au référendum », sur Change.org, et dont Pouria Amirshahi, président de _Politis, est signataire.