« Ruy Blas », par Yves Beaunesne : Éloge de l’usurpateur
Dans le Ruy Blas monté par Yves Beaunesne, les comédiens mènent brillamment l’éternelle charge de Victor Hugo contre les puissants.
dans l’hebdo N° 1592 Acheter ce numéro
On ne se lasse pas de Ruy Blas. C’est bête comme chou et c’est grandiose à la fois. Victor Hugo lance à cœur perdu ses rêves politiques dans cette histoire d’un « ver de terre amoureux d’une étoile ». Un valet, un laquais, un sans-grade, presque un prolo, devient, grâce à une série de machinations, Premier ministre du royaume d’Espagne. Plus fort encore, il tombe amoureux de la reine et la reine répond à sa passion ! Ça finit mal, bien sûr. Ce sublime mélo n’est pas facile à monter, non pas en raison de son romanesque ébouriffé, mais parce que l’ensemble est une grosse machine, avec beaucoup de monde et de grands décors.
Yves Beaunesne, qui dirige la Comédie Poitou-Charentes (un centre dramatique national qui ne dispose pas de salle permanente !), a monté la pièce cet été aux Fêtes nocturnes de Grignan, dans la Drôme, et vient présenter le spectacle à Saint-Denis. Il n’a pas les moyens qu’avait Christian Schiaretti quand il mit en scène Ruy Blas au TNP de Villeurbanne. Alors il n’utilise qu’un seul décor, géométrise le plateau : tout se passe dans un carré central, quand les personnages ne viennent pas monologuer (longuement) en un autre point de la scène ou quand un duo de musiciennes, Anne-Lise Binard et Elsa Guiet, part vagabonder avec ses accents dansants dans une action constamment mouvementée.
Beaunesne, qui avait précédemment monté un très beau Cid plutôt hiératique, a raison. On ne doit pas être solennel avec Hugo. On ne doit même pas prendre au sérieux ses déclarations sur le renouveau dramatique qu’il affirme mettre en place. C’est somptueusement écrit, c’est éclatant, mais c’est du feuilleton. Pour cela, un espace épuré est parfait, où s’inscrit un faste mesuré. Aux acteurs de jouer de la façon la plus vibrante possible. C’est le cas ici avec un Ruy Blas qui rompt avec la tradition des jeunes premiers romantiques : François Deblock joue surtout un homme du peuple qui a autant de drôlerie que de tendresse. Cela change brillamment la donne. Pour Don Salluste, cette canaille de ministre répudié qui manigance tout (c’est lui, rappelons-le quand même, qui a transformé Ruy Blas en grand d’Espagne), le rôle est pris en main par Thierry Bosc, qui lui communique une force sensible assez rare ; le truand a une âme, il n’est pas que d’une pièce. C’est beau et troublant. Le personnage de Don César de Bazan est central lui aussi, il est le double moqueur de Hugo, celui qui nous fait rire des félonies des puissants. Jean-Christophe Quenon l’incarne en colosse de la scène, faisant de chaque réplique un savoureux pamphlet. La part sensible, enfin, vient de l’interprétation de la reine par Noémie Gantier, qui combine avec bonheur la noblesse de l’apparat et la fragilité de la femme tourmentée par son étrange destin.
Bien entendu, c’est naïf. Il y a du théâtre politique plus subtil et plus vrai. Pourtant, comme on aime cet éloge de l’usurpateur prenant les coquins à leur piège ! « Bon appétit, Messieurs ! » lancé au conseil des ministres, c’est connu. Mais, oui, on ne s’en lasse pas.
Ruy Blas, théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis, 01 48 13 70 00, jusqu’au 15 mars.