Une rampe de lancement glissante pour EELV

Alors qu’elles doivent faire office de tremplin pour conquérir le pouvoir, les élections de mars sont, pour les écologistes, l’occasion de toucher du doigt les limites du fonctionnement du parti.

Agathe Mercante  • 5 février 2020 abonné·es
Une rampe de lancement glissante pour EELV
© De gauche à droite et de haut en bas, les candidat·es écologistes Béatrice Vessiller à Villeurbanne, Grégory Doucet à Lyon, Éric Piolle à Grenoble, Julie Laernoes à Nantes, Agnès Langevine à Perpignan et David Belliard à Paris. ROMAIN LAFABREGUE/AFP, ROMAIN LAFABREGUE/AFP, JEAN-PIERRE CLATOT/AFP, Loic VENANCE/AFP, RAYMOND ROIG/AFP, BERTRAND GUAY/AFP

Tout athlète le sait : la difficulté du sport n’est pas tant de gagner des médailles que de les garder. Après des années de mauvais résultats et la presque extinction du parti en 2015, Europe -Écologie-Les Verts renoue avec ce défi. Forts d’une troisième place – derrière le Rassemblement national et La République en marche – aux élections européennes de 2019 et d’une prise de conscience générale des enjeux liés au dérèglement climatique, à l’effondrement de la biodiversité et à la pollution planétaire, les écologistes doivent, à l’occasion des municipales de mars, confirmer l’essai.

« C’est un épisode politique en deux parties : l’un qui annonce, l’autre qui confirme », explique Hélène Hardy, élue du bureau exécutif du parti en charge des élections depuis le congrès de Saint-Denis, le 30 novembre 2019, qui a vu Julien Bayou succéder à David Cormand au poste de secrétaire national. À cette occasion, les Verts ont affirmé leur volonté d’autonomie – ou d’hégémonie, c’est selon – vis-à-vis des autres partis politiques et appliquent plus ou moins bien cette ligne pour la campagne municipale. À la tête de nombreux rassemblements politiques, ils peuvent espérer décrocher plusieurs villes, comme Lyon, Bordeaux, Besançon ou Villeurbanne (lire pages suivantes), et se maintenir dans celles dont ils ont déjà la charge, telles Grenoble, Grande-Synthe, Loos-en-Gohelle ou le deuxième arrondissement de Paris.

Si l’on se fie aux sondages, les 15 et 22 mars prochains feront la part belle à ces candidatures. À l’urgence écologique – la protection de l’environnement est désormais la première préoccupation des Français (1) – s’ajoute le climat social. Mouvement des gilets jaunes l’année dernière, grève contre la réforme des retraites… Selon un sondage Odoxa-CGI pour France Inter, 30 % des électeurs envisagent de sanctionner la politique d’Emmanuel Macron lors des municipales. « On peut les voir comme des “midterms” ou un référendum contre la réforme des retraites. Pour certains, un vote EELV peut être perçu comme le meilleur bâton pour mettre un taquet à Macron », veut croire Julien Bayou.

Pour les Verts, l’enjeu est grand : du scrutin découleront les postes pour la présidence des intercommunalités, agglomérations et métropoles, et la désignation de grands électeurs pour les élections sénatoriales de septembre 2020 (2). Une rampe de lancement, en somme. Mais ces élections sont aussi l’occasion pour le parti de toucher ses limites : la direction nationale est si démocrate qu’elle n’a pas la possibilité d’influer sur la désignation des candidat·es, les allié·es, la campagne.

« Les militants sont souverains », résume Hélène Hardy pour expliquer le principe de non-subsidiarité qu’applique à la lettre le parti. L’avantage ? Les candidat·es ne sont pas parachuté·es, ne souffrent pas de procès en légitimité et peuvent développer des stratégies adaptées à la situation locale. Le revers de la médaille, c’est que la direction nationale n’a que peu de poids en cas de cafouillage…

Non au recyclage

« Quel gâchis », « Une machine à perdre »… Les commentaires négatifs sur le groupe Facebook d’Europe Écologie-Les Verts de Montpellier se sont multipliés ces derniers jours. Et pour cause : Clothilde Ollier, candidate pourtant désignée par les militant·es écolos du cru, a perdu le soutien du parti le 18 janvier. Elle n’aurait pas, dit-on, respecté la demande locale de mener une campagne autonomiste, se serait rapprochée – un peu trop – de groupes insoumis et aurait évincé les adhérent·es écologistes de la ville. Fondée ou non, cette décision a de quoi faire grincer des dents. La candidate était créditée, le 11 janvier, de 19 % des voix au premier tour, devant le maire marcheur Philippe Saurel (18 %) et le Rassemblement national (10 %) (3).

La direction nationale a bien tenté de calmer les esprits, une mission de conciliation emmenée par Hélène Hardy a même été dépêchée, sans grand succès. Le bureau national a été contraint de retirer le logo EELV à la candidate… à deux mois des élections. « On peut le voir comme une décision courageuse, plaide Julien Bayou, nous avons respecté les statuts et la volonté des militants. » Peut-être. Mais l’adage « une de perdue, dix de retrouvées » ne s’applique pas ici. Une ville perdue… une ville perdue.

Marseille, aussi, pourrait rester à droite – malgré le calamiteux bilan de Jean-Claude Gaudin – en raison des désaccords entre partis. La candidate et écologiste dissidente du Printemps marseillais, le nom donné à une alliance rose-rouge mâtinée de vert, Michèle Rubirola, devra faire face à Sébastien Barles, candidat étiqueté EELV qui refuse de s’allier : « La politique, ce n’est pas de l’arithmétique, mais c’est une dynamique », indiquait-il à France Info. En attendant, Martine Vassal, l’ancienne adjointe au maire sortant Jean-Claude Gaudin, est créditée de 23 % des suffrages, suivie de peu par le frontiste Stéphane Ravier, à 22 % des voix. Le Printemps marseillais et EELV font, pour leur part, la course à la troisième place, avec 16 % d’intentions de vote pour l’un, 14 % pour l’autre (4). Dans d’autres villes, des alliances – en grande majorité portées par les écologistes – sont toutefois promises à de bons scores.

Ce refus (variable) de s’allier aux autres partis de gauche peut s’expliquer localement et nationalement. Yannick Jadot, candidat aux européennes, n’estimait-il pas, en décembre 2018, que « les écologistes n’ont pas vocation à recycler d’anciens socialistes qui se cherchent une planche de salut » ? La formule, à l’époque, était adressée à Ségolène Royal, qui guignait une place sur sa liste. Or, à l’échelle locale, nombreux sont les « anciens socialistes » qui « cherchent une planche de salut ». « Maintenant, on veut des alliances franchement écologistes, indique Hélène Hardy, ce n’est plus la peine de venir, comme en 2014, nous promettre de faire 30 % de bio dans les cantines, ça ne suffit plus. » Et de résumer : « On vend notre logo beaucoup plus cher qu’avant. »

Programmes 100 % écolos

Projet écologiste ou pas, les Verts sont pourtant amenés à faire des alliances « contre-nature » quand point le Rassemblement national. À Fréjus, dans le Var, ils se sont alliés avec… Les Républicains, pour faire face au maire sortant, David Rachline. « Oui, enfin, face au Rassemblement national, on n’a pas le choix »,défend Sandra Regol, numéro 2 du parti. À Hénin-Beaumont, où l’écologiste Marine Tondelier a réussi à fédérer des insoumis jusqu’aux quelques socialistes restants – mais sur une liste « citoyenne » – contre le maire RN, Steeve Briois, on ne croit pas spécialement à la stratégie du barrage contre l’extrême droite. « Ces alliances ne fonctionnent pas : ça n’est pas crédible de s’opposer les uns aux autres la majeure partie du temps et de s’allier pour les élections, c’est ce qui peut nous faire perdre », estime la candidate. « Barrage or not barrage », telle est la question que les écologistes n’ont pas tranchée.

Une chose réunit toutefois la plupart des écolos : la rancœur contre le PS. Le temps où les uns étaient la caution verte des autres est révolu. « Notre problème avec le Parti socialiste, c’est qu’il faut se battre sans arrêt pour faire avancer nos thématiques », indique Alain Coulombel, nouveau porte-parole d’EELV, qui martèle : « Nous ne sommes plus leurs supplétifs. » Et même dans les villes où les édiles socialistes ont appliqué un programme écolo et où les Verts siégeaient dans la majorité, EELV a investi ses propres listes. Face à Johanna Rolland à Nantes, à Nathalie Appéré à Rennes, à Martine Aubry à Lille et à Anne Hidalgo à Paris.

En dépit du rôle prépondérant des Verts au Conseil de Paris, David Belliard fait candidat seul. « Nous avons certes pu verdir la politique de la ville, mais nous ne sommes pas parvenu·es à convaincre de renoncer aux Jeux olympiques, par exemple », déplore Alain Coulombel. La théorie des programmes 100 % écolos trouve toutefois ses limites quand il s’agit de se rapprocher de La République en marche et de ses candidat·es plus ou moins dissident·es. Le 18 décembre, David Belliard a tenté d’opérer un rapprochement avec Cédric Villani pour créer une « coalition climat » allant de Danielle Simonnet (LFI) aux marcheur·euses en rupture. Si la tentative a échoué en raison du refus de Villani de se désolidariser de la politique du président de la République (il a été exclu de LREM depuis), les deux affirment qu’ils continuent à discuter et l’épisode a mis en lumière des désaccords entre Julien Bayou et Yannick Jadot. « Ce n’est pas spécialement contre Anne Hidalgo, mais bon… Que le meilleur gagne ! » explique Hélène Hardy.

Première marche

Le fond de l’air politique est donc vert. Et l’urgence climatique oblige les électeurs. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), 50 % à 70 % des leviers d’action pour endiguer la prolifération des émissions de gaz à effet de serre ou développer l’adaptation au changement climatique pourraient être actionnés à l’échelle locale. « Sur les trois secteurs les plus émetteurs – transports, bâtiment, agriculture –, les collectivités ont des compétences pour agir », expliquait dans Libération Zoé Lavocat, responsable climat et territoires au Réseau action climat (5). La mandature 2020-2026 a donc son importance. Et pour EELV les municipales sont la première marche vers ce qu’ils espèrent être une série de victoires : élections départementales et régionales en 2021, présidentielle et législatives en 2022…

« Quand les socialistes et les communistes ont gagné les municipales de 1977, ils ont pensé que la présidentielle était accessible », se souvient Hélène Hardy. « L’objectif, c’est seulement de convaincre 8 millions d’électeurs et c’est gagné pour la présidentielle », renchérit Julien Bayou. Mais cela nécessitera une refonte, un élargissement du parti – et pas seulement à Génération écologie et au Parti animaliste. « Je vois mal comment on pourrait ne pas rouvrir les discussions avec Génération·s », explique Alain Coulombel.

Mais pour ce qui est du PS, la porte reste fermée. Les municipales promettent de laisser des traces. Pour les leaders de la gauche d’antan, c’est la douche froide. « Avec cette stratégie, EELV perd en clarté, constatePierre Jouvet, président de la commission électorale du PS. À vouloir être hégémoniques comme La France insoumise de 2017, ils finiront comme eux », prédit-il. Mauvais joueur ?

(1) Enquête Ipsos-Sopra-Steria, réalisée en ligne du 30 août au 3 septembre 2019.

(2) Esther Benbassa est actuellement la seule membre d’EELV élue au Sénat (groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste).

(3) Sondage Harris Interactive, réalisé du 7 au 11 janvier 2020.

(4) Sondage Ipsos-Sopra-Steria pour France Bleu, France Info et La Provence, réalisé du 10 au 14 janvier 2020.

(5) Laure Equy, « L’écologie, maire de toutes les batailles », 21 janvier 2020.

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