Et maintenant ? Un champ de bataille
Même s’il est dévastateur, le 49.3 ne boucle pas la réforme des retraites. De nombreux obstacles demeurent, à commencer par l’opposition de la majorité du pays.
dans l’hebdo N° 1593 Acheter ce numéro
Le gouvernement peut se rassurer à bon compte d’avoir triomphé des deux motions de censure que lui ont opposées LR d’un côté, la gauche de l’autre. Cette petite victoire à la Pyrrhus sera vite oubliée. Mais le prix à payer pour avoir dégainé le 49.3 sera long à solder. En termes d’image tout d’abord. Après les gilets jaunes, Emmanuel Macron et ses ministres promettaient d’ouvrir un « acte II » du quinquennat placé sous le signe de la modestie et du dialogue. Mettre un terme à l’examen parlementaire d’une réforme présentée comme la plus importante du quinquennat, touchant à l’un des principaux piliers de notre pacte social, après seulement 115 heures de débat, infirme totalement cette version rose d’un « acte II ». Dans un passé récent, on se souvient qu’en 2015 l’Assemblée avait consacré 437 heures de débat à l’examen complet de la loi Macron, de moindre portée, amendée 2 024 fois avant que Manuel Valls use de l’article 49.3 de la Constitution, prévu pour tordre le bras à une majorité réfractaire.
Édouard Philippe n’a, lui, aucun problème avec sa majorité et n’a recouru à cet article que pour faire taire les oppositions, dans un accès d’autoritarisme. Car quoi que prétendent les macroniens justifiant leur coup de force par « l’obstruction » des groupes insoumis et communiste, les nombreux amendements de ces derniers, comme ceux des députés socialistes ou de droite, ont éclairé bien des zones d’ombre du texte. Et, en dévoilant les mensonges de la propagande macronienne, contribué à faire grandir dans l’opinion le rejet de cette retraite par points. Un rejet que l’étouffoir jeté sur le débat ne peut que radicaliser.
Le coût politique de cette stratégie inquiète déjà les candidats LREM aux municipales. « L’utilisation inappropriée du 49.3 » jette le trouble au sein même des parlementaires de la majorité et motive les départs d’un sénateur des Bouches-du-Rhône, Michel Amiel, et des députés Hubert Julien-Laferrière (Rhône) et Delphine Bagarry (Alpes-de-Haute-Provence).
Et la bataille des retraites est loin d’être terminée. Les sénateurs devraient se pencher sur le projet de loi ordinaire à compter du 20 avril, mais le président (LR) du Sénat comme le groupe socialiste ont demandé un report au 4 mai pour attendre la fin des travaux de la conférence de financement. Avant cet examen par la Haute Assemblée, qui promet d’être animé, les députés devaient commencer le 4 mars l’examen du volet organique de la réforme, qui concentre en 5 articles les points durs du projet d’Emmanuel Macron : gouvernance du futur système de retraites et règle d’or qui impose un équilibre financier sur cinq ans du nouveau régime universel. Près de 2 000 amendements ont été déposés et l’opposition entend profiter de l’impossibilité pour le gouvernement de recourir au 49.3 sur ce texte pour retarder l’adoption de cette réforme, dans l’espoir d’une reprise de la contestation sociale.
Car dès le lundi 2 mars, Force ouvrière a annoncé qu’elle désertait la conférence de financement, qui planche jusqu’à fin avril sur 9 à 12 milliards d’euros d’économies annuelles sur le régime de retraites. Son bureau confédéral estime que « la conférence ne permet pas de garantir la liberté de négociation », le Premier ministre ayant d’emblée écarté toute hausse des cotisations sociales patronales. Dès le lendemain, le 3 mars, la CGT lui a emboîté le pas. « Ce gouvernement refuse le débat en nous expliquant qu’il a raison tout seul », a commenté Philippe Martinez, dénonçant « une mascarade ». Et annonçant la suite : « Personne n’est fatigué et rien n’est terminé ! »
Le conclave sur le financement, qui se tient déjà sans Solidaires, exclue par le choix opportun d’un seuil de représentativité à 5 % pour pouvoir y siéger, se poursuivrait alors sans aucun représentant de l’intersyndicale (CGT, FO, Solidaires, FSU) opposée à la réforme. Cette conférence étant uniquement destinée aux partisans de la réforme, cela ne devrait pas en bouleverser les équilibres… L’intersyndicale n’attend donc rien de la première séance plénière, programmée le 6 avril. L’enjeu est en revanche colossal pour la CFDT, qui ne ménage pas ses efforts pour tenter de négocier des aménagements à la réforme, avec, jusqu’à présent, un bilan proche de zéro.
L’heure reste à la mobilisation pour les autres centrales syndicales. Dans un communiqué commun, le 2 mars, l’intersyndicale appelle « à poursuivre les actions sans relâche, sous toutes les formes décidées localement ». Des rassemblements de réaction étaient organisés en début de semaine et l’énergie militante reste tournée vers la semaine du 9 au 13 mars, suivant l’appel à manifester « autour de la journée du 8 mars », pour mettre la question de l’égalité femmes-hommes au premier plan. Une autre mobilisation est prévue de longue date le mardi 31 mars, dans l’espoir notamment de remobiliser le secteur des transports. Et un regain contestataire anime certains secteurs, comme l’énergie ou les orchestres.
Chez les avocats aussi, le 49.3 est vécu comme une déclaration de guerre. « C’est aussi un signe de fébrilité du gouvernement qui nous encourage à nous mobiliser d’autant plus, affirme Me David van der Vlist, secrétaire général du SAF-Paris (Syndicat des avocats de France). L’enjeu n’est pas de savoir si on continue, mais quelles sont les formes que va prendre notre action ». Les robes noires réfléchissent à durcir le bras de fer : certains barreaux, comme celui de Bobigny, reconduisent la grève alors que les greffiers se sont lancés le 4 mars dans l’arène. La course de relais des avocats, partie de Montpellier, continue de monter vers Paris. Elle devrait arriver le 11 mars place Vendôme pour déposer un cahier de doléances au ministère. D’autres avocats proposent de multiplier les recours contre les comptes de campagne LREM par exemple, ou encore contre Nicole Belloubet dans le cadre de la loi contre les fake news… « On fait du droit, c’est notre métier, clame Xavier Autain, du Conseil national des barreaux. Cette réforme des retraites arrive dans une situation plus générale d’un service public à bout de souffle. » Un contexte bouillonnant où les luttes se juxtaposent. De leur côté, enseignants et étudiants n’ont pas attendu le 49.3 pour appeler à plusieurs journées de mobilisation, certes contre la réforme des retraites, mais aussi contre d’autres réformes qui les atteignent directement. Résultat : l’intersyndicale professionnelle a lancé une journée morte ce jeudi 5 mars et appelle à massivement se mobiliser le 8 mars pour la journée internationale des droits des femmes, ainsi que les 13 et 14 lors des journées internationales pour le climat. Du côté des lycéens, la FIDL appelle à se joindre à toutes les mobilisations, alors que quelques établissements restent encore bloqués, rendant impossible la tenue des épreuves du contrôle continu du bac (E3C). En réponse, Jean-Michel Blanquer veut les rapatrier dans des centres d’examen. Les fronts se multiplient et s’entrechoquent. L’utilisation du 49.3 vient, sans conteste, verser de l’huile sur un feu social déjà ardent.