Grand Paris : Quand les gaullistes ont fait table rase

Nous vivons l’héritage d’une réforme territoriale qui, en 1964, a désolidarisé Paris de sa proche banlieue.

Michel Soudais  • 4 mars 2020 abonné·es
Grand Paris : Quand les gaullistes ont fait table rase
© Une lithographie de 1910 représentant le département de la Seine.Lee/Leemage/AFP

Le Grand Paris a existé. Certes pas sous le nom qu’on lui donne, mais la pratique institutionnelle du département de la Seine, créé en 1790, a été sous les IIIe et IVe Républiques, et jusqu’à la réforme territoriale de 1964, celle d’une ville capitale solidaire des communes qui l’entourent. Son conseil général, constitué d’élus d’arrondissement de la ville de Paris et de conseillers généraux élus dans les cantons regroupant les municipalités de proche banlieue, fonctionnait alors comme un conseil métropolitain impulsant des politiques pensées à l’échelle de la métropole, notamment en matière de santé publique ou de logement.

La nécessité d’organiser la gestion de services publics ou d’activités débordant les limites territoriales des communes apparaît à la fin du XIXe siècle : la loi du 22 mars 1890 offre une base juridique à la création de syndicats de communes. De grandes intercommunalités techniques se forment ainsi en région parisienne pour assurer la distribution de l’eau, de l’électricité, du gaz, les services de pompes funèbres…

En 1916, le socialiste Henri Sellier, maire historique de Suresnes de 1919 à 1941, n’est encore que conseiller général du département de la Seine lorsqu’il fonde l’Office d’habitation à bon marché de la Seine, qui permet d’acquérir les terrains nécessaires à l’édification de logements sociaux en banlieue parisienne. Futur ministre de la Santé publique du premier gouvernement Blum de Front populaire, il défend l’idée « des ensembles de logements propres à assurer la décongestion de Paris et de sa banlieue et à montrer que l’on peut assurer à la classe des travailleurs un logement présentant le maximum de confort matériel et de conditions d’hygiène ». Sur cette conviction, il lance notamment de 1920 à 1939 un vaste programme de quinze cités-jardins, dont les plus remarquables sont édifiées à Suresnes, Stains ou Châtenay-Malabry. « Ce sont essentiellement les contribuables parisiens qui contribuaient à la construction de ces logements sociaux en banlieue », note l’historien Emmanuel Bellanger.

Quand il compare la situation actuelle de la Métropole du Grand Paris et sa gouvernance au consensus, ce chercheur au CNRS, qui dirige le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS) de l’université Paris‑I, fait remarquer que « le département de la Seine fonctionnait déjà aux compromis. Mais ceux-ci reposaient sur des coalitions qui transcendaient les égoïsmes communaux ». Que ces coalitions soient motivées par le souci de pacifier des territoires ou le fruit de proximités politiques partisanes.

Le démembrement du département de la Seine par le pouvoir gaulliste en 1964 « pour des raisons géopolitiques » – le PCF était alors en mesure d’en reprendre la tête, comme l’avait fait le communiste Georges Marrane en 1936-1937 et 1945-1946 – a désolidarisé Paris de sa proche banlieue, divisée en trois départements (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) sans faire de la région naissante l’autorité de régulation et d’organisation dont la tentaculaire métropole parisienne aurait besoin.

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