La résistance à Macron passe par le local
Le Président fait mine d’être indifférent aux mauvais résultats qui s’annoncent pour son camp. Mais le scrutin et l’abstention montreront si la ligne du gouvernement est appréciée par le pays.
dans l’hebdo N° 1594 Acheter ce numéro
Étrange campagne. Après l’annonce dimanche de l’interdiction des rassemblements de plus de 1 000 personnes, plusieurs réunions publiques ont été annulées. À Paris, l’écologiste David Belliard et la maire sortante Anne Hidalgo ont quasi simultanément annoncé l’annulation du grand meeting de 1er tour qu’ils devaient tenir ce jeudi à quelques centaines de mètres l’un de l’autre. À Marseille, Martine Vassal, candidate (LR) à la succession de Jean-Claude Gaudin, a annulé ses trois réunions publiques de la semaine ; le meeting du Printemps marseillais (large union de la gauche) et celui de Bruno Gilles, candidat dissident LR, ont également été supprimés. À Lyon, Toulouse, Strasbourg, Saint-Étienne, le réflexe face à la propagation du virus Covid-19 est le même. Et les candidats de toutes tendances se replient sur Internet pour des meetings en ligne ou des émissions en Facebook live. Même les porte-à-porte sont considérés par certains d’entre eux comme une pratique à risque qu’il convient d’éviter.
L’épidémie de coronavirus percute de plein fouet les élections municipales, longtemps éclipsées dans l’actualité par le mouvement d’opposition à la réforme des retraites. Au point de les rendre imprévisibles.
Si les maires restent les élus préférés des Français et le conseil municipal l’institution à laquelle ils accordent le plus leur confiance, la participation aux élections municipales est en baisse continue depuis plus de trente ans. Il y a six ans, l’abstention avait culminé à 36,45 %. « Je pense que cette tendance va s’accentuer parce que le rapport des Français au local se distend », avance Rémi Lefebvre, maître de conférences à l’université de Lille-Ceraps. Nombre d’électeurs sont moins attachés à la commune dans laquelle ils vivent, parce qu’ils travaillent dans une autre, vivent dans une métropole ou sont éloignés du centre. Une tendance encore plus marquée chez les jeunes et dans les quartiers populaires, où les partis politiques, aujourd’hui sinistrés, étaient des agents de politisation. « Aujourd’hui, les milieux populaires décrochent par rapport aux municipales, ils n’y voient plus beaucoup d’intérêt », analyse ce spécialiste des mobilisations électorales.
La crainte des risques de transmission du Covid-19 menace également la participation : près de trois électeurs sur dix (28 %) interrogés par l’Ifop le 5 mars déclaraient être susceptibles de ne pas se rendre dans un bureau de vote ; ils étaient même 36 % dans l’agglomération parisienne. Ces abstentionnistes potentiels s’ajoutent-ils au socle habituel des abstentionnistes ? Sans doute.Mais en partie seulement. Or l’abstention, différente d’une élection à l’autre, influe plus sur les mouvements électoraux que les changements de camp. En 2008, les électeurs de droite avaient boudé les urnes offrant nombre de villes à la gauche, et plus particulièrement au PS. En 2014, la droite avait grandement profité de la grève des urnes du camp adverse. Cette année, les mêmes causes produisant les mêmes effets – un exécutif qui déçoit une partie de sa base voit celle-ci refuser de se mobiliser –, les politologues assurent que cette abstention « différentielle » touchera les électeurs macronistes venus de la gauche.
Les opposants à la macronie veulent y croire. « Il se pourrait bien, si les Françaises et les Français décident d’utiliser eux leur 15-3, c’est-à-dire leur 15 mars après que le gouvernement a utilisé son 49-3, que nous puissions dès dimanche prochain imposer une motion de censure citoyenne », a ainsi récemment déclaré Adrien Quatennens. Mais le député France insoumise du Nord n’en est pas tout à fait sûr. Si le rejet du macronisme est bien réel, de multiples enjeux propres aux 34 997 communes entrent en ligne de compte pour les 47,7 millions d’électeurs appelés aux urnes. Après avoir encouragé ses ministres à aller à la bataille électorale, Emmanuel Macron feint l’indifférence pour un scrutin qui « n’est pas une élection nationale ». Quel que soit le résultat, il n’en tirera pas de « conséquences nationales », a-t-il fait savoir, comme pour décourager un possible vote sanction.
Édouard Philippe, candidat au Havre, est le plus exposé. Élu au premier tour en 2014 avec 52,04 %, le Premier ministre sera dimanche en ballottage et peut être battu le 22 mars. Interrogée par un auditeur de France Inter (4 mars) sur l’éventualité d’une démission dans cette hypothèse, Sibeth Ndiaye l’a totalement exclu : « On est dans un système démocratique où la légitimité des ministres ne procède pas d’un scrutin électif. (…) Une élection locale ne détermine pas votre avenir national et en l’occurrence le Premier ministre tant qu’il aura la confiance du président de la République selon nos institutions restera Premier ministre et c’est bien heureux (sic) comme ça. »
Conscients depuis la crise des gilets jaunes des risques d’une contre-performance électorale, les responsables et élus de La République en marche (LREM) la jouent modestes. D’autant que pour la première fois sous la Ve République le parti présidentiel ne sera pas présent partout. Sa faible implantation locale ne lui permet d’être représenté, à travers des listes conduites par des candidats investis ou soutenus, que dans la moitié des villes de plus de 10 000 habitants. Elles sont pourtant réputées favorables au vote Macron, au caractère urbain très marqué. Stanislas Guerini, son délégué général, maintient l’objectif qu’il s’était assigné en annonçant, au début de l’été, une première vague d’investitures : faire élire 10 000 conseillers municipaux pour asseoir l’implantation territoriale de LREM et se constituer une assise solide pour les futures échéances électorales (sénatoriales, départementales et régionales).
Mais la répartition géographique des candidatures de son parti révèle d’importantes failles dans cette implantation. Dans le Nord, les Bouches-du-Rhône, la Seine-Maritime et la Moselle, il ne présente des candidats que dans un tiers des villes. Moins encore dans le Haut-Rhin (3 villes sur 11), les Alpes-Maritimes (4 sur 19), le Maine-et-Loire (3 sur 17) ou les Pyrénées-Atlantiques (2 sur 12). En Haute-Savoie, à Thonon-les-Bains, une des deux villes du département (sur 11) où LREM a investi un candidat, ce dernier a placé sur sa liste six membres de sa famille. LREM est absente dans les villes corses et présente dans une seule des 26 villes du Pas-de-Calais, en soutien à la maire LR de Calais, Natacha Bouchart.
Ce soutien est loin d’être isolé. Sur tout le territoire, plus de la moitié des candidats investis ou soutenus par LREM dans les grandes villes avaient déjà été élus en 2014 sous une autre étiquette. Parmi eux, quelque120 maires sortants, dont certains affichent déjà plus de trois mandats au compteur. C’est le cas d’André Trigano, 94 ans, maire de Pamiers (Ardèche) depuis 1995, ou d’André Santini, élu à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) depuis… 1980. Par ce choix, en contradiction avec sa promesse fondatrice de « renouvellement de la vie politique », LREM vise autant à conjurer les effets de sa faible implantation locale qu’à poursuivre la recomposition du paysage politique initiée avec la présidentielle. Si des élus socialistes ont reçu le soutien du parti présidentiel, à l’instar d’Olivier Klein, le maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), les élus de droite sont cette fois bien plus nombreux. On dénombre ainsi une vingtaine de candidats soutenus à la fois par Les Républicains et LREM : Jean-Louis Moudenc, maire de Toulouse, Patrick Ollier, maire de Rueil-Malmaison et président de la Métropole du Grand Paris, Laurent Degallaix, maire de Valenciennes, Arnaud Péricard, maire de Saint-Germain-en-Laye…
Ces doubles casquettes permettront aux Marcheurs de gagner quelques sièges dans les conseils municipaux et de se réjouir de quelques victoires au soir des 15 ou 22 mars. Elles renforcent un peu plus le sentiment auprès des électeurs d’une indifférenciation politique. Et accroissent leur trouble dans une élection où cette année, du fait de la faiblesse des appareils et de la désaffection des candidats pour leurs labels partisans, les listes sans étiquette et « divers » explosent. À deux semaines du scrutin, moins d’un Français sur deux savait pour qui il allait voter. Ils étaient presque aussi nombreux à penser réélire leur maire.
Quelle soit guidée par la facilité ou la résignation, cette tendance pourrait faire les affaires des anciens partis dominants, Les Républicains et le Parti socialiste. Elle handicape les regroupements alternatifs qui, ici et là, prennent à bras-le-corps les défis écologiques et sociaux. Qu’ils soient conduits par des candidats d’EELV, du PCF, de La France insoumise, d’une autre formation de gauche ou des citoyens engagés.
C’est en effet au niveau local qu’un grand nombre de mesures en faveur de la transition écologique peuvent être engagées et pallier la frilosité du gouvernement dans ce domaine. C’est également au niveau local que des solidarités de proximité peuvent s’organiser et se développer en résistance à l’extension de la société de marché accompagnée par les gouvernements successifs depuis deux décennies : logement social, encadrement des loyers et lutte contre la spéculation immobilière, maintien de services publics, soutien scolaire, tarifs sociaux dans les cantines, sport et culture… Malgré les intercommunalités, les domaines d’intervention d’une municipalité restent nombreux. Bien des innovations sont possibles, la commune conservant une compétence générale. Certes, les budgets ne sont pas infiniment extensibles et des contraintes financières existent. Mais rien n’oblige une équipe municipale à satisfaire aux obsessions austéritaires du gouvernement.
Tout est question de volonté politique. Celle des élus, et celle des électeurs pour les porter aux commandes de leur mairie.