Lettre ouverte à Emmanuel Macron en période de crise

Samuel Churin, comédien, membre de la Coordination des intermittents et précaires, interpelle le président de la République sur son double discours, enjoignant les uns au confinement tout en exigeant des autres qu’ils se rendent au travail.

Samuel Churin  • 26 mars 2020
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Lettre ouverte à Emmanuel Macron en période de crise
© Photo : Mathieu CUGNOT / POOL / AFP

Monsieur,

Parmi les nombreux témoignages de personnes forcées d’aller travailler pour assurer des emplois non indispensables, je vous livre ce dernier, celui qui me pousse à vous écrire :

Ma nièce de 20 ans bosse dans une petite boîte de chauffage. La boîte a reçu l’injonction par Mme Pénicaud de reprendre le travail lundi. Or, ma nièce vit avec ma sœur, qui sort de six mois de chimio, vient d’avoir une opération lourde de ses trois cancers, et a du mal à s’en remettre. Elle souffre beaucoup et a du mal à bouger. Heureusement ma nièce s’occupe de tout et fait les courses pour sa mère fragile et convalescente. Elle ravitaille également mes parents de 84 ans. Le médecin de famille a un quota d’arrêts de travail et ne peut lui en délivrer un. Quel recours existe-t-il ? Il est hors de question que ma nièce mette en danger sa mère et ses grands-parents en allant bosser… Les enculés ! Je suis rouge de colère.

Voyez-vous, nous sommes de plus en plus nombreux à être rouges de colère.

Nous avons accepté les hésitations, les incertitudes. Les scientifiques hésitaient, vous aussi.

Loin de moi l’idée de dire : « On aurait pu prévoir, on aurait pu savoir. »

Mais nous n’en sommes plus là.

Car nous savons.

Nous pouvons prévoir.

Nous avons compris.

Tout le monde a compris.

Et nous savons que vous savez.

L’ensemble du monde scientifique est d’accord et l’exemple de l’Italie en est la preuve la plus évidente et la plus tragique : deux solutions sont possibles pour éviter un nombre record de victimes.

• La première est un test systématique de masse, on isole les porteurs et reprise du travail des négatifs avec masques généralisés et gestes barrière. Cela a été le choix gagnant de la Corée du Sud.

• La deuxième est un confinement total et absolu comme nous supplient de le faire les médecins chinois, italiens, français…

Nous savons hélas que la première solution est inenvisageable pour l’instant car nous manquons de tests et de masques.

Nous savons que vous savez que le confinement total est la seule et unique solution pour éviter une catastrophe sanitaire.

Vous et votre gouvernement tenez un double discours : vous faites la leçon à ceux qui ne respectent pas les consignes de confinement et vous imposez le travail à ceux qui veulent respecter le confinement pour des emplois absolument non indispensables.

Ainsi vous avez bien eu raison de ne pas prononcer le mot « confinement » car nous ne sommes pas en confinement, contrairement à ce que disent vos communicants, puisque des milliers de personnes se déplacent encore en France pour occuper des emplois non indispensables.

Alors disons-le très clairement, tous les chercheurs dont vous dites écouter les conseils prononcent en coulisse ces mots : « Ce double discours est criminel. »

Nous savons que votre préoccupation est d’abord économique, vos conseillers le déclarent en coulisse (je cite) : « L’urgence n’est pas la crise sanitaire, l’urgence c’est d’éviter la plus grande crise économique de l’histoire. »

Votre stratégie est claire : on laisse le virus se répandre mais on confine partiellement pour étaler le nombre de cas dans le temps. Il s’agit d’éviter le trop gros scandale de malades sur le trottoir.

Oui M. Macron, il est tragique d’envoyer travailler des gens pour des boulots non indispensables. Ces gens sont souvent les plus pauvres, ils prendront des risques en prenant les transports en commun, en contamineront d’autres.

Non M. Macron, nous ne sommes pas en guerre, mais les soignants le sont à cause de vos décisions irresponsables. Comme en Italie, des témoignages nous parviennent du choix qu’ils ont à faire entre les malades.

L’Italie a pris enfin la décision d’interdire le travail non indispensable.

Nous avons 10 jours « d’avance » sur l’Italie.

Nous sommes des millions à savoir que vous savez que le confinement total est la seule et unique solution.

Qu’attendez-vous ?

Que répondez-vous à cette jeune femme, soutien de famille, obligée de travailler en risquant le pire pour les siens ?

Face à votre double discours, dangereux en termes de santé publique (vous devrez rendre compte des victimes de votre politique), et si éclairant en termes sociologique (les catégories les plus pauvres sont celles que vous exposez le plus comme si leur vie avait moins de prix), nous n’avons qu’une réponse possible : la désobéissance systématique au travail à tout prix.

Que votre slogan « Restez chez vous » s’applique à toutes et à tous de manière radicale afin de sauver des vies.

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Tribunes

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