Même pendant l’épidémie, c’est « pédale ou crève » chez Deliveroo

Ils prennent le risque d’être contaminés, de contaminer ou d’être privés de revenus. Pour mettre fin à cette situation, les coursiers de plateformes de livraison de repas, type Uber Eats ou Deliveroo, réclament la suspension de ce genre de service et une indemnisation.

Victor Le Boisselier  • 29 mars 2020
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Même pendant l’épidémie, c’est « pédale ou crève » chez Deliveroo
© Crédits photos : page Facebook du CLAP

Ce vendredi, plusieurs syndicats ou collectifs de « livreurs Deliveroo ou Uber Eats » appelaient à « poser les sacs » : « Nous demandons la fermeture du service le temps de la crise et une indemnisation des coursiers via la participation des plateformes », pouvait-on lire sur un tract diffusé sur les réseaux sociaux. Un mouvement de grève, suivi à Nantes, Lyon, Dijon, Strasbourg ou encore Bordeaux, pour dénoncer la continuité de l’activité des plateformes de livraison, qui met en péril clients et livreurs et est toujours autorisée par la loi.

Le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP) n’a pas appelé à la grève. Mais comme l’explique son porte-parole, Jérôme Pimot, il milite également pour l’arrêt de l’activité des plateformes : « On n’est pas sur la ligne grève car on sait très bien que les gens qui travaillent dans les conditions qu’on connaît n’ont pas le choix, car n’ont pas accès aux aides. »

« Les conditions qu’on connaît » ? Celles de livreurs en première ligne, en contact avec restaurateurs et clients, et qui pourraient s’avérer être le maillon d’une chaîne de contagion. Une « livraison sans contact » où la transaction s’effectue « en plaçant le sac ouvert devant la porte », « et en respectant une distance de sécurité de deux mètres », a été instaurée par l’entreprise. Mais cela reste une simple manière pour elle de se déculpabiliser tout en continuant à faire du chiffre, dénonce Jérôme Pimot :

La méthode de ces plateformes de livraison, c’est de faire reposer les responsabilités sur des autoentrepreneurs. Les mesures de sécurité, c’est facile d’écrire ça confiné chez soi en chaussettes. Sauf que sur le terrain ces pratiques ne sont pas mises en place. Le guide des bonnes pratiques sanitaires n’est pas respecté. Il n’y a déjà pas beaucoup de commandes, les gens ne prennent pas le temps de se laver les mains. Ils écrivent ça pour dire « c’est pas de notre faute ».

Sur son compte Twitter, le syndicaliste relaie d’ailleurs des photos des cuisines de Deliveroo, où les livreurs ne respectent pas les distances de sécurité. Selon lui, cela fait partie des conséquences de la baisse du prix de la livraison : « On est passé d’une course de 7 euros il y a quelques années à 2,60 euros aujourd’hui. Forcément le prix diminue, la qualité de service aussi, et on a des livreurs beaucoup moins responsables. »

Il y a la baisse du nombre de commandes, les couvre-feux qui empêchent à certains livreurs de travailler après une certaine heure. Mais c’est bien le manque de barrières sanitaires qui a amené Sofiane(1) à suspendre provisoirement son activité :

Ils ne nous prennent pas au sérieux, on n’avait pas de masques ni de gants. Il a fallu des articles et des reportages pour que l’entreprise réagisse et nous propose de nous rembourser masques et gel à hauteur de 25 euros, sur présentation de facture. Certains pensent vraiment entamer des actions en justice contre eux, mais les actions en justice sont très longues. Si j’avais de l’argent de côté, j’aurais moi-même payé un avocat, parce que là, c’est trop.

Habituellement, le jeune homme travaille entre 40 et 50 heures par semaine, pour un chiffre d’affaires mensuel oscillant « entre 1 700 et 2 500 euros, 3 000 euros vraiment les bons mois ». Ce mois-ci, il ne touchera qu’environ 300 euros pour son activité de coursier, sans savoir s’il sera éligible à une quelconque indemnisation.

Considérés comme des « collaborateurs », ces autoentrepreneurs doivent continuer de rouler pour ne pas s’asseoir sur leurs revenus. L’URSSAF a bien suspendu son prélèvement du mois de mars pour le lisser entre avril et décembre. Le gouvernement a pour sa part promis une compensation de 1 500 euros brut. Mais celle-ci ne concerne que les travailleurs dont le chiffre d’affaires a diminué de 70% entre mars 2019 et mars 2020.

Un fonds de solidarité sous conditions

Pour les livreurs en vacances ou blessés à ce moment-là, aucune aide ne sera donc offerte. Mais surtout, la livraison de repas est souvent passagère pour ces travailleurs, explique Arthur Hay, secrétaire du syndicat CGT des coursiers à vélo de Gironde : « Il y un turn-over assez fort, peu de gens restent attachés à ce métier et donc beaucoup de coursiers n’ont pas un an d’expérience. Quand on s’inscrit, c’est qu’on a besoin d’argent à l’instant T. Le gouvernement nie cette nécessité. »

Deliveroo a mis en place « un fonds de solidarité » pour les coursiers atteints du Covid-19 et munis d’un arrêt de travail. Le livreur est déconnecté de l’application pendant 14 jours, et doit recevoir 230 euros, soit une indemnisation journalière de 16,43 euros… à condition d’avoir fait 130 euros de chiffre d’affaires hebdomadaire pendant les quatre dernières semaines, selon les syndicats.

Contactée par Politis, l’entreprise refuse de confirmer ce montant, mais affirme vouloir dédommager seulement « les livreurs réguliers ». Elle refuse également de donner l’évolution des commandes depuis le début de l’épidémie, mais se targue d’avoir recruté 1 400 nouveaux restaurants en France.

Un simple coup de communication, selon Arthur Hay :

Deliveroo essaie de se faire de la publicité sur deux aspects : que la crise augmente les livraisons, et donc que son activité est essentielle. Mais aussi que les coursiers gagnent plus d’argent. Ce qui est absolument faux, car il y a une baisse drastique de l’activité. Et encore heureux, car les clients comprennent que ce n’est pas le moment de se faire livrer une pizza. Normalement, les restaurants doivent payer des frais d’installation pour accéder à la plateforme de livraison. En ce moment, Deliveroo ou Uber Eats procèdent à l’installation gratuitement. Mais sur la carte interactive que le livreur utilise, le nombre de points de vente a nettement diminué. Les restaurants voient bien que ça ne marche pas.

Pour la direction de Deliveroo, la livraison de repas est considérée comme « essentielle » : « Vous avez plein de familles en France qui ont des horaires décalés ou qui sont isolées et qui utilisent la livraison de repas. » Jérôme Pimot ironise : « Macron dit qu’on est en guerre, alors pourquoi doit-on livrer des pizzas? On a parfois des commandes pour un Kinder Bueno, un paquet de bonbons ou une canette de soda. L’aspect vital est à relativiser, contrairement à l’aspect viral… »

(1) Le prénom a été modifié.

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