Offensive climat sur les communes
Les mouvements écologistes, déçus par le gouvernement, ont fortement investi la campagne des municipales pour inciter les listes en compétition à se mobiliser dans la bataille climatique.
dans l’hebdo N° 1594 Acheter ce numéro
Les arbres pourraient bien voter pour la première fois, à Asnières et ailleurs, lors du scrutin municipal des 15 et 22 mars. Dans la ville des Hauts-de-Seine, c’est à qui en plantera le plus, en cas de victoire : mille pour le maire sortant, trois mille pour le candidat LREM et cinq mille végétaux pour le candidat Génération·s-PCF-LFI, signale Le Parisien (1). Végétaliser la ville pour améliorer le bien-être des urbains et atténuer l’impact des canicules : sympathique, mais largement insuffisant. « C’est dans un contexte d’urgence environnementale que se dérouleront ces élections municipales, recadre la candidate soutenue par Europe Écologie-Les Verts (EELV) à Asnières. La nécessaire transition écologique nous oblige à sortir, définitivement, d’une écologie gadget. »
Car le sujet est passé en première ligne des préoccupations du public, montrent les sondages d’opinion. Et d’abord le dérèglement climatique. Les événements marquants se succèdent depuis l’automne 2018 et la démission fracassante de son poste de ministre de l’Écologie par un Nicolas Hulot désabusé, considérant qu’Emmanuel Macron a trahi sa promesse d’être un président « vert ». La température du globe monte. Les canicules et les mégafeux de forêt font l’actualité depuis deux étés, précédant les inondations catastrophiques. Les marches pour le climat drainent des dizaines de milliers de personnes, souvent jeunes, portées par la figure emblématique de la lycéenne suédoise Greta Thunberg. Fin 2018, « l’Affaire du siècle », campagne « de justice climatique », recueillait deux millions de signatures en l’espace d’un mois. Et, résultat inattendu, la liste EELV menée par Yannick Jadot arrive en troisième position de l’élection européenne, le 26 mai 2019, avec 13,48 % des voix. Poussée par le vote des jeunes : 40 % des 18-34 ans ont fait leur devoir électoral, près de deux fois plus que ne le prédisaient les sondages un mois plus tôt, et plus de 25 % ont déposé dans l’urne un bulletin EELV. Une participation élevée des jeunes, préférant le vert : un trait qui s’est manifesté dans la plupart des pays de l’Union.
La « métamorphose » basque
La très active association basque Bizi est une nouvelle fois à l’initiative d’une démarche climatique exemplaire. Son Pacte de métamorphose écologique a été signé par 80 des listes en lice dans 48 communes basques, couvrant 83 % de la population, notamment celles en mesure de l’emporter à Bayonne et à Biarritz. « Métamorphose » parce que la « transition » proposée par Bizi en 2014 a accouché d’un résultat « largement insuffisant ». Les communes signataires alors (75 % de la population locale) n’avaient choisi en moyenne que 13 des 53 engagements proposés, réalisés à 43 % seulement, bien que la simple phase de démarrage était très accessible. « Notre démarche 2020 est beaucoup plus ambitieuse », souligne Anthony Lubrano : c’est l’ensemble du pacte qui était soumis à adoption (mobilité, bâtiments, énergies renouvelables, agriculture, monnaie locale, déchets, Plan climat air énergie territorial), sa réalisation sera suivie tout au long de la mandature, notamment à l’échelle de la communauté d’agglomération du Pays basque. « Elle n’existait pas en 2014, et son appui potentiel a décidé de la signature du pacte dans des petites communes qui se sentaient dépassées par son ambition », se félicite Anthony Lubrano.
Conséquence, toutes les listes ou presque se sont hâtées de hisser le drapeau vert au fronton de leur programme, et le scrutin municipal baigne comme jamais dans la surenchère écolo, sincère ou de façade. « L’écologie et le dérèglement climatique sont devenus l’horizon indépassable des élections, juge Malika Peyraut, porte-parole des Amis de la Terre. On le vérifie au niveau local, avec ces municipales, même si de nombreuses listes se sont contentées de saupoudrer leur programme de vert. »
Depuis des mois, les mouvements écologistes s’attachent à constituer ce scrutin local en enjeu majeur de la bataille climatique, s’appuyant sur des chiffres assez peu notoires. Ainsi les collectivités territoriales sont directement impliquées dans 15 % des émissions de gaz à effet de serre, par leur patrimoine (bâtiments, éclairage public, flotte de véhicules) ainsi que les décisions découlant de leur domaine de compétence (logement, transports, gestion des déchets, etc.), et jusqu’à 50 % en incluant l’impact indirect de ces dernières (4). En 2013, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) affirmait que 50 à 70 % des mesures d’atténuation et d’adaptation au dérèglement ont vocation à être mises en œuvre aux échelons locaux. « La mandature à venir est d’autant plus cruciale qu’il s’agira de la dernière en mesure d’ambitionner de contenir le réchauffement global au-dessous de 2 °C d’augmentation », ajoute Rebecca Wangler, du mouvement Alternatiba. En 2026, à l’heure du bilan des futures équipes municipales, il sera trop tard si elles n’ont pas résolument engagé la transition.
Des outils existent. Soixante organisations, parmi les plus importantes dans le domaine de l’écologie, de l’économie sociale et solidaire et de l’altermondialisme, se sont mobilisées pour porter un « Pacte pour la transition ». Comportant 32 mesures à large spectre (agriculture, alimentation, énergie, démocratie, économie locale, publics en difficulté, transports, collectivité locale exemplaire, etc.), il est proposé à l’adoption par les listes en compétition. Pour cela, elles doivent s’engager sur un minimum de dix mesures et obtenir la cosignature d’un des 2 500 collectifs citoyens locaux ad hoc (non partisans), qui se chargera de suivre la concrétisation des promesses si la liste se retrouve en responsabilité. Plus de 350 listes ont signé.
« La perception que les communes, les communautés de communes et les métropoles peuvent être motrices de la transition écologique est une idée relativement récente », souligne Rebecca Wangler. Il y a deux ans, « avec les municipales en tête », le mouvement Alternatiba a lancé, avec ANV-COP 21 et le Réseau action climat (RAC), une campagne « alternatives territoriales » d’interpellation des autorités locales sur des choix structurants, tels que la définition des plans climat air énergie territoriaux (PCAET). La campagne proposait de former à l’exercice du plaidoyer local. « Et ça séduit ! En quelques mois, 6 000 personnes se sont inscrites. » Ces forces nouvelles ont largement investi les collectifs citoyens du Pacte pour la transition.
En appui, le RAC a distingué dix mesures phares du document afin de passer au crible les programmes des quatre principales listes en présence dans dix grandes villes et métropoles du pays (5). Le résultat n’est pas glorieux, analyse le réseau : « Seules 13 des 40 listes évaluées intègrent les mesures incontournables pour faire face à l’urgence climatique, tandis que 9 n’en tiennent tout simplement pas compte. » Reproches majeurs : la plupart des programmes se contentent de mesures spécifiques, loin d’une approche systémique « qui devrait pourtant être de mise pour réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre », et les thématiques clés (transports, énergie, rénovation des logements, gestion des déchets) sont rarement accompagnées de mesures concrètes. Sans surprise, les listes écologistes (menées par EELV ou en alliance) cochent le plus de cases. Le programme le plus vertueux du panel est cependant celui de la liste menée à Toulouse par Nadia Pellefigue (PS-PCF). Le bonnet d’âne va à Rachida Dati (LR), à Paris : « Le climat est absent de son programme, qui comporte même des mesures synonymes de régression, comme le soutien à la voiture individuelle. »
La mobilisation citoyenne prendra une dimension très visible : le premier tour des élections municipales coïncide avec l’anniversaire de la Marche du siècle pour le climat, qui avait mis 350 000 personnes dans les rues des villes de France les 15 et 16 mars 2019. « Nous avons voulu lier les deux événements, sans l’ombre d’une hésitation, et préparer un anniversaire digne de ce nom », commente Rebecca Wangler. Près de 120 marches sont inscrites pour deux journées d’actions, vendredi 13 (le jour de la semaine où Greta Thunberg a instauré la « grève scolaire pour le climat ») et samedi 14 mars. S’il n’est pas question d’émettre des consignes de vote, les actions emblématiseront la lutte climatique comme enjeu clé du scrutin, tout en interpellant les futures équipes municipales, pour ce qui concerne les Amis de la Terre, indique Malika Peyraut. Avec une adresse explicite au gouvernement et à sa politique climatique, « car il est indispensable de lier les échelles locale et nationale ». ANV-COP 21 et Alternatiba organisent ainsi une série d’actions pour « démasquer le double discours de Macron ». Malika Peyraut est particulièrement ulcérée par l’opération de communication orchestrée en février par le Président sur la mer de Glace, au pied du mont Blanc. « Il exploite sans vergogne la question écologique. La mise en scène de sa “sidération” devant l’ampleur de la fonte du glacier, à un mois des municipales, c’est le summum de l’hypocrisie ! »
(1) 10 février 2020.
(2) Elabe, pour Veolia et La Tribune.
(3) Harris-Ifop pour RTL et TF1-LCI.
(4) Selon l’Ademe.
(5) Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Nice, Paris, Rouen, Strasbourg et Toulouse.