« On sait qu’on va être contaminés, mais on ne sait pas quand »
Série #lesdéconfinés sur Politis.fr. Le monde est en pause, mais eux continuent de s’activer. En ces temps d’épidémie, découvrez ceux qui ne sont pas confinés. Aujourd’hui Camille*, policier.
J’étais au commissariat, jeudi soir, quand le Président a tenu son allocution. Comme tous les Français, on était scotchés devant ses annonces. Mais pour une simple raison : en amont, nous n’avions reçu absolument aucune information. Pas d’ordre, pas de consigne, zéro prérogative. On apprenait phrase après phrase ce qui allait se passer trois jours plus tard, sans que notre hiérarchie nous ait tenus au courant. On apprenait donc qu’il y allait avoir un confinement mardi prochain. C’était surréaliste.
Trois jours sont passés sans qu’on obtienne une quelconque information supplémentaire sur des changements d’organisation ou des protocoles à faire respecter. Ce n’est que dimanche après-midi, soit moins de 48 heures avant le début du confinement, qu’on a reçu cette recommandation : il faut faire de la pédagogie, informer la population et ne pas la verbaliser. Voilà. Depuis ce jour-là, nous n’avons toujours pas reçu de nouveaux moyens de protection. Dans mon commissariat, on était en rupture de stock dès jeudi. La consigne, c’est donc d’économiser les masques au maximum.
Cette situation crée de la tension entre collègues. Rendez-vous compte : on intervient en urgence sur une mission (violences, vol, viol, car oui, les crimes et les délits continuent même en période de confinement, et nous sommes les seuls à pouvoir nous en occuper), et avant de gérer la situation, on doit demander à l’auteur et à la victime s’ils ont de la fièvre, si oui, à combien, s’ils toussent, s’ils sont fébriles et à partir de là, on décide d’aller chercher un masque à la voiture et de revenir. C’est impossible. Surtout qu’il peut y avoir des porteurs asymptomatiques !
On doit déjà faire attention à nous et à l’équipe qui intervient dans un foyer sensible en composant le 17 – un numéro qui correspond à une situation de danger –, et on nous demande en plus de faire attention à cela… Alors quand je décide de porter un des seuls masques dont on dispose, je peux me faire réprimander par mes chefs de brigade qui me disent : « Mais putain, t’en as utilisé un et si nous, on en a vraiment besoin ? » À chaque intervention, on se dit : « Est-ce qu’il tousse assez ? Est-ce qu’il a assez de fièvre pour que je puisse porter un masque ? » Alors quand on entend notre « grand patron », Christophe Castaner, dire jeudi matin que nous, les agents de police, nous ne sommes pas « en risque », et que le risque, « c’est plutôt de mal porter et de porter de façon continue le masque », en ajoutant que nous ne sommes pas « confrontés directement à des malades », c’est proprement aberrant.
Dans mon commissariat, plusieurs collègues ont tous les symptômes. Ils sont tous confinés. Tout le commissariat a peur d’infecter ses proches. On sait qu’on va être contaminés, on se l’est tous dit à la brigade, mais on ne sait pas quand. On n’a pas le droit de retrait, on ne peut jamais rien dire, mais là, au vu des risques que la hiérarchie fait prendre à ses effectifs, il est hors de question que je reste en silence. Je vais continuer à aller bosser car mon métier c’est d’aider, de sauver les gens, mais il est inconcevable que je me taise vu les conditions dans lesquelles on travaille.
*Le prénom a été modifié
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