Retrouver l’esprit de 1848 !
Qui se souvient de la révolution qui proclama une IIe République sociale et révolutionnaire et instaura le suffrage universel — masculin — ainsi que de nombreux droits sociaux ?
dans l’hebdo N° 1593 Acheter ce numéro
La place de la Bastille évoque le 14 juillet 1789. La colonne en son centre arbore fièrement les dates des trois journées révolutionnaires de juillet 1830. Mais qui se souvient que le 24 février 1848 la foule porta le trône qu’elle venait de faire tomber au pied de la colonne et l’y brûla ? Que quelques jours plus tard on proclama ici la IIe République ? Qu’en juin de la même année des artisans, des boutiquiers et un archevêque sont morts pour tenter de défendre l’un des droits fondamentaux de février 1848 : le droit au travail.
On chercherait longtemps un monument à la révolution de 1848, quelques plaques tout au plus, et une station de métro, à Louis Blanc, le socialiste qui entra au gouvernement provisoire avant de présider la Commission du Luxembourg. La quoi ? Oubliée elle aussi. Un Parlement du peuple, du travail, des hommes en blouse et quelques femmes qui siégèrent deux mois sous les moulures du palais du Luxembourg, pourtant sinon dévolu aux chambres hautes de nos systèmes parlementaires. On connaît Olympe de Gouges, Louise Michel, mais les noms des femmes de 1848 restent comme effacés des mémoires : Jeanne Deroin, Eugénie Niboyet, Désirée Gay.
Alors certes, on se souvient que le suffrage universel – qu’on oublie souvent de spécifier « masculin » – date de 1848, ainsi que l’abolition de l’esclavage – avec indemnisation des planteurs. On associe ça à la République. Mais il faudrait préciser que cette république était alors révolutionnaire (1), démocratique et sociale. Quant aux mesures sociales qui caractérisent tout autant cette révolution et cette république, droit au travail, droit du travail, associations ouvrières, sont-elles citées ? Trop peu. Et en traquant depuis 2016 dans les graffitis politiques les références aux révolutions du passé, je n’en ai trouvé que deux à 1848. La Commune, 1789, 1793 abondent. Mais 1848, nada.
Qu’elle était belle, pourtant, cette révolution dont l’un des slogans était « Nul n’a droit au superflu tant que chacun n’a pas le nécessaire (2) ». Son drapeau était rouge ; son programme, social. Son premier décret est rédigé le 25 février 1848 par Louis Blanc, alors que les barricades obstruent encore les rues : « Le gouvernement de la République s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice de leur travail. » Bien que l’on retienne en général de ce décret la formulation, non explicite, du droit au travail, le plus important est peut-être la reconnaissance du droit d’association des producteurs, soit ni plus ni moins que la suppression de la loi Le Chapelier, qui interdisait depuis 1791 les associations ouvrières. Et, au-delà, cela revient à reconnaître la possibilité de l’abolition de la propriété capitaliste. Mais Louis Blanc comme une partie des ouvriers insurgés veulent plus encore : mettre à bas le libéralisme économique, faire de l’État un agent de l’« organisation du travail », maître mot de l’époque et titre d’une brochure du même Louis Blanc. Un projet socialiste donc (au sens qu’il prenait alors de suppression de la propriété capitaliste).
Les femmes en profitent alors pour faire entendre leur voix : « Il ne peut y avoir deux libertés, deux égalités, deux fraternités. La liberté, l’égalité, la fraternité de l’homme sont bien évidemment celles de la femme. À côté du peuple-roi, il faut de toute nécessité proclamer le peuple-reine, ou, mieux encore, les comprendre tous deux dans le peuple-souverainS » (ainsi typographié, variante quarante-huitarde du point médian de nos jours).
Alors, certes, les élections d’avril 1848 portent au pouvoir une majorité libérale, conservatrice, qui s’empresse d’enterrer les droits sociaux, de faire taire les femmes, de vider les travailleurs du Luxembourg, de dissoudre les ateliers coopératifs, d’exclure même les ouvriers du suffrage. Certes, le président de la République élu pour la première fois au suffrage direct met à peine trois ans à écraser ce qui restait de république par son coup d’État du 2 décembre 1851. Un échec donc, mais comme après 1793, comme après la Commune de 1871, qui, eux, restent davantage dans les mémoires et les imaginaires.
Mathilde Larrère Université Gustave-Eiffel
(1) Quand la République était révolutionnaire. Citoyenneté et représentation en 1848, Samuel Hayat, Seuil, 2014.
(2) 1848, la révolution oubliée, Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey, La Découverte, 2009.
Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.
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