« Certains des patients ne comprennent pas grand-chose à la situation, d’autres captent très bien »

Aujourd’hui dans #LesDéconfinés, Maxime*, éducateur auprès d’adultes avec des troubles mentaux, avec qui les consignes de sécurité sanitaire sont parfois difficiles à faire respecter. Le personnel soignant s’y fait tant bien que mal.

Romain Haillard  • 11 avril 2020
Partager :
« Certains des patients ne comprennent pas grand-chose à la situation, d’autres captent très bien »
© PHOTO D'ILLUSTRATION (Barthez et Candela en 1998) / GABRIEL BOUYS / AFP

Je travaille comme éducateur spécialisé à Bruxelles, dans un accueil de jour. Mon public, ce sont des enfants ou des adultes double diagnostiqués, avec des troubles mentaux et du comportement. Ils sont considérés comme des « déficients mentaux », je les vois plus comme des personnes qui n’ont pas la possibilité d’avoir un travail ou d’aller à l’école.

Nous animons des ateliers, ça peut être n’importe quoi : un atelier écriture ou encore un atelier karaoké (ça c’est mon truc). Les enfants et les adultes, nous les accueillons sur deux sites différents, proches des foyers où ils vivent. Maintenant je ne m’occupe plus que des adultes. L’idée c’était de garder les mêmes équipes aux mêmes endroits pour éviter au maximum les contaminations… Mais ça ne marche pas. Je m’explique.

#Lesdéconfinés, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.
C’est la démerde pour les conditions d’hygiène. Quelques personnes – dont la directrice de l’établissement – se sont carrément mis à coudre des masques pour les employés et les résidents. Depuis la semaine dernière, tout le monde a le sien.

Certains des patients ne comprennent pas grand-chose à la situation, d’autres captent très bien l’idée de se protéger et de protéger les autres. Mais il reste des problèmes. Il faut savoir une chose : les clopes, c’est LA denrée rare. Les résidents sont souvent en rade de thunes, donc il y a toujours des échanges, du troc… Un jour, je fumais avec une collègue et deux patients, l’un d’eux file sa cigarette à l’autre après avoir tiré dessus. Je leur dis : « Non mais attendez, on désinfecte tout à la javel, on porte des masques et vous vous passez des clopes comme ça ?! » Le patient m’a tout simplement répondu : « J’ai plus d’argent, je fais comment ? De toute manière, je ne me sens pas malade et mon Dieu me protège. » Que veux-tu répondre à ça ? Quatre des adultes ont déjà attrapé le virus, s’il doit se transmettre, il se transmettra.

Le public avec qui je travaille n’a aucune notion des distances. Donc ça se fait en fonction de chaque patient, c’est très singulier nos relations avec chacun d’eux. Moi déjà, je vouvoie tout le monde. Ça incite davantage à la distance. Mais chez certains patients c’est plus compliqué. Par exemple, moi, j’ai le crâne rasé. Je suis assez proche de l’un des participants au centre de jour : chaque fois qu’il me voit, il veut rejouer France 98. Il joue Laurent Blanc et moi Fabien Barthez : il m’embrasse le crâne. Plus possible de le faire maintenant.

Depuis le début, j’ai le sentiment d’être là parce qu’on me le demande. Mais il n’y a pas de solutions miracles. Nous ne pouvons pas les laisser plusieurs mois dans leur foyer. Au début de la crise, certains de mes collègues se sont mis en arrêt maladie. Il y a ceux qui ont été infectés par le virus, puis une fois guéris ils reviennent, d’autres tombent malade. Tout le monde se regarde et se demande qui sera le prochain. Visiblement, c’est peut-être moi. Depuis une semaine, j’ai eu des maux de gorge, mon médecin m’a demandé de rester deux semaines à la maison.


* Le prénom a été changé.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles
Étude 21 novembre 2024 abonnés

Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles

Une enquête de l’Inserm montre que de plus en plus de personnes s’éloignent de la norme hétérosexuelle, mais que les personnes LGBT+ sont surexposées aux violences sexuelles et que la transidentité est mal acceptée socialement.
Par Thomas Lefèvre
La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !
Santé 21 novembre 2024 abonnés

La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !

Les stéréotypes sexistes, encore profondément ancrés dans la recherche et la pratique médicales, entraînent de mauvaises prises en charge et des retards de diagnostic. Les spécificités féminines sont trop souvent ignorées dans les essais cliniques, et les symptômes douloureux banalisés.
Par Thomas Lefèvre
La Brigade rouge : un poing c’est tout !
Portfolio 20 novembre 2024 abonnés

La Brigade rouge : un poing c’est tout !

Pour pallier les carences et manquements de l’État indien, l’ONG la Brigade rouge s’est donné pour mission de protéger et d’accompagner les femmes qui ont été victimes de viol ou de violences sexistes et sexuelles. Reportage photo.
Par Franck Renoir
À Koupiansk, en Ukraine, « il ne reste que les vieux et les fous »
Reportage 20 novembre 2024 abonnés

À Koupiansk, en Ukraine, « il ne reste que les vieux et les fous »

Avec les rapides avancées russes sur le front, la ville de Koupiansk, occupée en 2022, est désormais à 2,5 km du front. Les habitants ont été invités à évacuer depuis la mi-octobre. Malgré les bombardements, certains ne souhaitent pas partir, ou ne s’y résolvent pas encore.
Par Pauline Migevant