« Certains des patients ne comprennent pas grand-chose à la situation, d’autres captent très bien »
Aujourd’hui dans #LesDéconfinés, Maxime*, éducateur auprès d’adultes avec des troubles mentaux, avec qui les consignes de sécurité sanitaire sont parfois difficiles à faire respecter. Le personnel soignant s’y fait tant bien que mal.
Je travaille comme éducateur spécialisé à Bruxelles, dans un accueil de jour. Mon public, ce sont des enfants ou des adultes double diagnostiqués, avec des troubles mentaux et du comportement. Ils sont considérés comme des « déficients mentaux », je les vois plus comme des personnes qui n’ont pas la possibilité d’avoir un travail ou d’aller à l’école.
Nous animons des ateliers, ça peut être n’importe quoi : un atelier écriture ou encore un atelier karaoké (ça c’est mon truc). Les enfants et les adultes, nous les accueillons sur deux sites différents, proches des foyers où ils vivent. Maintenant je ne m’occupe plus que des adultes. L’idée c’était de garder les mêmes équipes aux mêmes endroits pour éviter au maximum les contaminations… Mais ça ne marche pas. Je m’explique.
Certains des patients ne comprennent pas grand-chose à la situation, d’autres captent très bien l’idée de se protéger et de protéger les autres. Mais il reste des problèmes. Il faut savoir une chose : les clopes, c’est LA denrée rare. Les résidents sont souvent en rade de thunes, donc il y a toujours des échanges, du troc… Un jour, je fumais avec une collègue et deux patients, l’un d’eux file sa cigarette à l’autre après avoir tiré dessus. Je leur dis : « Non mais attendez, on désinfecte tout à la javel, on porte des masques et vous vous passez des clopes comme ça ?! » Le patient m’a tout simplement répondu : « J’ai plus d’argent, je fais comment ? De toute manière, je ne me sens pas malade et mon Dieu me protège. » Que veux-tu répondre à ça ? Quatre des adultes ont déjà attrapé le virus, s’il doit se transmettre, il se transmettra.
Le public avec qui je travaille n’a aucune notion des distances. Donc ça se fait en fonction de chaque patient, c’est très singulier nos relations avec chacun d’eux. Moi déjà, je vouvoie tout le monde. Ça incite davantage à la distance. Mais chez certains patients c’est plus compliqué. Par exemple, moi, j’ai le crâne rasé. Je suis assez proche de l’un des participants au centre de jour : chaque fois qu’il me voit, il veut rejouer France 98. Il joue Laurent Blanc et moi Fabien Barthez : il m’embrasse le crâne. Plus possible de le faire maintenant.
Depuis le début, j’ai le sentiment d’être là parce qu’on me le demande. Mais il n’y a pas de solutions miracles. Nous ne pouvons pas les laisser plusieurs mois dans leur foyer. Au début de la crise, certains de mes collègues se sont mis en arrêt maladie. Il y a ceux qui ont été infectés par le virus, puis une fois guéris ils reviennent, d’autres tombent malade. Tout le monde se regarde et se demande qui sera le prochain. Visiblement, c’est peut-être moi. Depuis une semaine, j’ai eu des maux de gorge, mon médecin m’a demandé de rester deux semaines à la maison.
* Le prénom a été changé.
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