« Dans le camp médical, je me dis qu’on doit aider »

Aujourd’hui dans #lesdéconfinés, Karen, infirmière libérale à domicile dans l’Oise, a choisi de se consacrer aux patient·es Covid-19.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 6 avril 2020
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« Dans le camp médical, je me dis qu’on doit aider »
© Photo: D.R.

Je suis infirmière libérale, à Senlis, dans l’Oise. Dans mon cabinet, nous sommes deux. Je travaille sur le secteur depuis vingt-deux ans, donc je connais bien tout le monde. Lorsque la crise sanitaire a commencé, avec ma consœur, nous nous sommes posé beaucoup de questions sur la manière dont nous allions devoir travailler. Évidemment, il n’était pas question de s’arrêter. Parce que nous soignons des personnes fragiles dont l’état est parfois grave. Certaines sont diabétiques et ne peuvent pas fabriquer d’insuline par elles-mêmes. D’autres sont en chimiothérapie, Il y a aussi beaucoup de personnes âgées. Pour elles, les soins doivent être dispensés tous les jours. C’est vital.

#Lesdéconfiné·es, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.
Nous avons parlé de réduire la cadence un petit peu, mais ce n’était pas possible. Alors il nous a fallu penser à une autre organisation, puisque nous ne pouvions pas prendre le risque de contaminer celles et ceux qui étaient déjà très malades. Et forcément, à un moment, nous serions confrontées à des personnes infectées. Avec ma collègue, nous avons décidé que la meilleure chose à faire était de nous séparer. Elle s’occuperait de nos patient·es les plus fragiles, et moi, de toutes les personnes qui sont porteuses du Covid-19. Dans notre secteur, d’autres cabinets de soins à domicile ont fait pareil. Comme ça, nous gardons nos patient·es, et nous nous occupons aussi de celles et ceux qui arrivent.

Avec les personnels des sept ou huit autres cabinets, nous discutons sur WhatsApp. On y échange des informations, des recherches ou des renseignements importants.

Très vite, nous avons compris que c’était à nous de nous protéger. Alors, nous avons cherché à nous procurer du matériel de protection : des masques, des gants… Et ce sont des personnes qui travaillent dans le bâtiment qui nous les ont donnés.

Je pense qu’il est important que les soignant·es sachent s’ils ou elles sont contaminé·es. Mais ce n’est pas toujours possible. Et de toute façon, nous travaillons comme si c’était le cas. Pour nous protéger, et protéger les autres.

Lorsque j’ai finalement commencé, il n’y avait pas beaucoup de patient·es Covid-19 en ville. La plupart sont encore hospitalisé·es. Alors nous sommes allé·es à l’hôpital de Creil pour leur parler de notre démarche. Ils nous ont envoyé des gens qui avaient été hospitalisés dans un état grave, mais qui pouvaient poursuivre leurs soins à domicile, en attendant de guérir complètement. Cela permettait aussi de libérer des lits dans leurs services, qui accueillent beaucoup de porteur·ses du Covid-19. À leur sortie, certain·es sont en observation, doivent être oxygéné·es ou recevoir des traitements antibiotiques par intraveineuse. Nous avons aussi sollicité Acsso (Association de coordination sanitaire et sociale de l’Oise), une association qui organise notamment des hospitalisations à domicile.

Ils m’ont envoyée en mission vers des Ehpad, pour des soins plus complexes. Là, c’est une véritable catastrophe. Pour les personnels, bien sûr, mais aussi pour les résident·es. Clairement, il n’y a pas de moyens, ni de salarié·es. Beaucoup se sont mis en arrêt maladie. Les personnels étaient tellement en détresse que j’ai eu envie de dire à ma collègue d’assumer nos patient·es en ville pour que je vienne les aider… Mais ce n’est pas comme ça que ça marche.

Moi, je ne me pose pas trop de questions. Je ne me considère pas à risque. Bien sûr, je n’ai plus 25 ans mais, dans le camp médical, je me dis qu’on doit aider.

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