Échos d’une crise sanitaire : le choléra à Paris en 1832
Comme le Covid-19 aujourd’hui, cette épidémie meurtrière révèle alors les insuffisances des pouvoirs publics, les divisions de la médecine et les inégalités sociales devant la maladie, qui mèneront jusqu’à l’insurrection.
dans l’hebdo N° 1599 Acheter ce numéro
Lors de son allocution télévisée du 12 mars, Emmanuel Macron affirmait que le Covid-19 était « la plus grave crise sanitaire » qu’ait connue la France depuis un siècle. Lorsque l’épidémie de choléra toucha la France, et plus particulièrement Paris, en mars 1832, les contemporains (gouvernants et médecins) pensaient probablement la même chose. L’épisode de peste à Marseille plus d’un siècle auparavant, en 1720, n’était donc pas l’ultime épidémie capable de causer des ravages sur un territoire. L’impuissance des gouvernants, le tâtonnement des médecins, les antagonismes sociaux et politiques, les questions de salubrité sont autant de sujets révélés par l’épidémie de choléra de 1832, tout comme aujourd’hui le Covid-19 a un effet de révélateur.
Jusqu’à début mars, le gouvernement nous incitait à poursuivre une vie normale malgré le coronavirus, dont on parlait de plus en plus ; la sortie présidentielle au théâtre le 6 mars illustre cette idée. La situation est similaire lors de l’épidémie de 1832. Même si, dès le 20 août 1831, le préfet de la Seine et le préfet de police publient un arrêté qui institue dans chaque quartier et arrondissement des commissions sanitaires pour faire face à l’arrivée du choléra (alors en Pologne), ils incitent dans le même temps les maires à convaincre les « classes laborieuses » de la faible probabilité d’une épidémie. Les médecins eux-mêmes restent persuadés que les progrès de la science préserveront de l’avancée de l’épidémie.
Las, fin mars 1832, le choléra est installé sur le territoire et provoque une cristallisation des antagonismes sociaux et politiques. Les plus pauvres meurent en effet davantage que les plus aisés, lesquels ont pour partie quitté Paris ou s’autoconfinent, ce que les classes populaires ne peuvent se permettre. Cette situation – la mortalité différentielle ainsi que l’hésitation des pouvoirs publics entre prophylaxie affichée et gravité dissimulée – provoque l’épisode du « massacre des empoisonneurs (1) » ; les bourgeois sont la cible d’attaques, car perçus comme à l’origine d’un complot contre les classes populaires. C’est dans ce contexte qu’interviennent les obsèques du général Lamarque, figure politique républicaine emportée par le choléra. L’événement devient l’épicentre d’une insurrection républicaine les 5 et 6 juin, au cours de laquelle l’opposition est violemment réprimée par le pouvoir.
Au-delà des tensions politiques et sociales, l’épidémie de choléra est aussi un défi sanitaire face auquel les différentes administrations et les corps de métiers mobilisés sont dépassés. Les bureaux de secours d’arrondissement et de quartier sont gérés par les mairies, mais ils se révèlent vite insuffisants face aux 19 000 victimes que fait la maladie à Paris. Le matériel médical manque, la place pour accueillir les malades tout autant, l’Hôtel-Dieu est saturé, les prix des produits pharmaceutiques (chlorure de chaux, par exemple) s’envolent, faute d’encadrement. Les acteurs privés sont mobilisés pour pallier les insuffisances de l’investissement de l’État. Les habitants sont invités à faire preuve de philanthropie pour prêter main-forte aux mairies débordées. L’épidémie dévoile ainsi les failles des connaissances médicales (les médecins s’écharpent pendant toute l’épidémie entre théories de la contagion et de l’infection), mais également la faiblesse des capacités de gestion de la crise.
Enfin, le choléra produit un questionnement sur la ville et sur son amélioration. On pense la ville épidémique différemment après 1832. On met davantage en cause l’insalubrité des logements et de la rue, et on s’intéresse aux moyens d’y remédier ; les propriétaires sont tantôt favorables, tantôt réticents, selon leurs intérêts économiques. Les enquêtes de salubrité menées avant et pendant l’épidémie donnent lieu à des rapports qui dénoncent l’état de la capitale et proposent des moyens de l’assainir et de la changer. Une fois l’épidémie passée, on institue durablement des commissions de salubrité d’arrondissement.
Gageons, entre autres, que la crise actuelle alerte également sur l’état de salubrité des habitations dans lesquelles certaines familles sont confinées, et soit l’occasion d’une prise d’engagement durable concernant la gestion de l’hôpital public et les conditions de travail des personnels soignants.
(1) « Le massacre des “empoisonneurs” à Paris au temps du choléra (1832) », Karine Salomé, Revue historique, 23 février 2015, n° 673, p. 103‑124.
Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.
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