Et surtout, restez chez vous !
« Moi, personne ne me dira rien si je me fous du confinement : je suis le patron des patrons. »
dans l’hebdo N° 1597 Acheter ce numéro
Ça va, vous ? Ça se passe bien, le confinement, dans vos quartiers populaires ? Vous n’êtes pas trop serrés, à douze dans vos six mètres carrés ? Non, je demande, parce que j’ai l’impression que vous avez un peu de mal à bien vous discipliner : la semaine dernière, déjà, le préfet Lallement a dû fermer quelques éventaires autour du métro Château-Rouge (ligne 4, 75018 Paris), et j’ai encore lu hier, dans la dernière mercuriale de Benito Onfray, qu’extramuros, « dans les territoires perdus de la République », vos jeunes des « banlieues » font exactement comme si le couvre-feu n’existait pas – le bruit court même que certains, parmi ces sauvageons, professent qu’ils n’ont « rien à foutre du confinement » : que d’incivisme !
Moi ? Ça va, merci. Je ne vais pas me plaindre : tout se passe plutôt bien. Dans les moments difficiles comme ceux que nous traversons, c’est important de pouvoir compter sur ses amis, et les miens, dans le sommet de l’appareil d’État, sont comme toujours aux petits soins : l’autre jour, quand j’ai dit qu’il fallait que le gouvernement se dépêche un peu de nous distribuer quelques centaines de milliards d’euros, Bruno Le Maire a vite obtempéré et débloqué « 300 milliards d’euros pour les entreprises ». (Je l’ai immédiatement appelé pour lui dire que ça serait toujours ça que les pauvres n’auraient pas, et on s’est bien marrés.)
Puis je dois reconnaître que je bénéficie de conditions si parfaitement idéales, que j’ai même failli proposer au Monde de tenir moi aussi un journal de confinement (en me disant que ça pourrait vous remonter le moral de savoir que tout le monde n’en est pas réduit à se cuire des pâtes au riz en matant des rediffs de Derrick dans un T1 mal chauffé) : quand nous avons été soumis à l’isolement, je suis parti me réfugier avec ma famille dans mon agréable manoir du Croisic, avec son petit « bunker » d’appoint aménagé « en cabane » – mon « bastion breton », comme l’appellent mes fidèles journalistes, qui ont le sens de la rime. (C’est important aussi de rester groupés.)
Bon, j’avoue : ça m’a un peu gêné qu’Ouest France révèle (1) que je « ne respecte pas le confinement » et que je continue tranquillement de me « déplacer vers Paris ». J’ai craint que le préfet Lallement ne me ferme, à moi aussi, l’éventaire. Ou pire encore : qu’il ne me rappelle que mon comportement est passible d’une amende et d’une peine de six mois de prison et… Naaan, je rigole.
Moi, je peux afficher impunément que je n’ai rien à foutre du confinement : personne me dira rien – et surtout pas Lallement, qui est quelqu’un d’obéissant. Parce que je suis le président du Medef – « le patron des patrons », comme disent mes fidèles journalistes, qui ont le sens de la rime. Allez, prenez soin de vous, et surtout : restez bien chez vous.
(1) « Coronavirus : le patron du Medef ne respecte pas le confinement », Ouest France, 25 mars.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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