« J’espère qu’avec cette crise, l’hôpital français pourra renaître de ses cendres »
Aujourd’hui, dans #LesDéconfinés, Nathalie, infirmière mulhousienne au chevet des patient·es du Covid en Suisse. Si certain·es lui reprochent de déserter les malades de Mulhouse face au virus, c’est l’hôpital français qui l’a fait fuir.
Infirmière de métier et habitant à Mulhouse, je devrais être au front et au bord de l’épuisement. Mulhouse paye un lourd tribut, nous connaissons toutes et tous une personne endeuillée. Je suis infirmière, en médecine interne qui plus est : les infections, c’est mon rayon. Pourtant, je n’exerce pas à Mulhouse, mais dans un grand hôpital à Bâle, en Suisse.
À Mulhouse, je me sens obligée de me justifier tout le temps de ne pas être au front et à la guerre comme les héroïnes de l’hôpital Émile Müller. Ici, les frontalier·es, qui viennent de France et qui travaillent en Suisse, ne sont pas très bien vu·es. Alors être infirmière frontalière en temps de crise sanitaire, c’est encore pire. Dois-je me sentir traître, alors que c’est l’hôpital français qui m’a fait fuir ? Pour ma part, je ne vois pas de différence entre soigner un·e Suisse·sse et soigner un·e Français·e. Par ailleurs, sans le personnel frontalier, le système de santé suisse s’effondre, tout simplement.
En pleine crise du coronavirus, le système hospitalier bâlois ne s’est pas écroulé comme en France. J’ai fait très peu d’heures supplémentaires, pourtant mon hôpital a pris en charge beaucoup de patient·es en provenance de Mulhouse en plus des malades de Suisse. Le personnel médical suisse ne sortira pas de cette crise dans le même état qu’en France.
L’hôpital suisse est un hôpital qui coûte plus cher que l’hôpital français, c’est certain. Toutefois, pour l’heure, je ne suis pas prête de revenir travailler à Mulhouse. L’hôpital français souffre d’un manque de moyens humain et matériel, et aussi d’un management qui date d’un autre âge. J’ai été élève infirmière à Mulhouse, j’y ai vu des équipes peu soudées, sous le joug d’un encadrement clientéliste, des décisions hiérarchiques imposées sans discussions, des plannings donnés 15 jours à l’avance. En tant qu’élève, j’y ai vécu un harcèlement moral épuisant, un stress énorme, des cadres peu aidants face à des situations récurrentes de conflit.
Au contraire, à Bâle, je vais au travail la joie au ventre, la joie de retrouver mes collègues, la joie de soigner que j’avais perdue. Là-bas, beaucoup de décisions sont co-construites. Les soignant·es sont reconnu·es, je me sens valorisée, et pas seulement par mon salaire. Mon planning est bouclé deux mois avant, la cadre de santé est impliquée dans le service et met la main à la pâte en cas de coup dur. Je suis devenue tutrice d’élèves, qui sont aidé·es, épaulé·es et intégré·es dans un vrai parcours de formation. Ce ne sont pas nos esclaves !
J’espère qu’avec cette crise, l’hôpital français pourra renaître de ses cendres, avec une vague d’embauches sans précédent, des formations revalorisées, des tuteurs et tutrices formé·es, des cadres au service de leurs équipes. Finalement, un hôpital au service de l’humain, qu’il s’agisse des patient·es ou du personnel !
Nathalie, lectrice de Politis, nous a fait parvenir son témoignage par mail à l’adresse web@politis.fr._
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