La psychiatrie publique ne doit pas être la victime collatérale du covid-19

Pierre Micheletti médecin, auteur et président d’Action Contre la Faim dénonce le délaissement de la psychiatrie par les pouvoirs publics. Avec le coronavirus ce secteur, autant impacté par les réformes hospitalières que les autres, ne bénéficie pourtant d’aucune revalorisation. Pire encore, le pouvoir administratif tente à nouveau d’imposer ses choix contre la logique des soignants.

Pierre Micheletti  • 17 avril 2020
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La psychiatrie publique ne doit pas être la victime collatérale du covid-19
© Photo : AMELIE-BENOIST / BSIP / BSIP via AFP

On ne va pas se le cacher, il se joue depuis des années déjà dans le milieu hospitalier, un bras de fer feutré mais implacable entre les médecins et les directeurs.

D’un côté les héritiers des grands mandarins, col de la blouse blanche relevé, stéthoscope autour du cou, nourris et stimulés par les résultats spectaculaires de la lutte contre les maladies infectieuses et les progrès de la médecine. De l’autre, le corps des directeurs, pleins des certitudes acquises à l’école de Rennes, certains de l’indéfectible soutien des ministres de la santé successifs, zélateurs d’économies budgétaires sur fond de doxa libérale, de culte de la performance et de privatisation du système de santé.

Pierre Micheletti est médecin, responsable pédagogique du diplôme « santé-précarité » à la faculté de médecine de Grenoble. Il est aussi président d’Action Contre la Faim et co-auteur (Dir) de La santé des populations vulnérables (Ellipses, 2017).
Pour l’heure, les soignants en général, et ceux de l’hôpital en particulier, dont l’opinion publique perçoit le rôle et l’engagement, font l’objet de toutes les attentions. Les voici brusquement revalorisés, désormais choyés par la nation : du citoyen lambda au président.

Les hôpitaux suffoquaient déjà avant le séisme du Covid-19. Christophe Lannelongue, directeur de l’Agence régionale de santé du Grand-Est récemment débarqué pour avoir prétendu maintenir un plan de réduction d’effectifs au CHRU de Nancy, est la victime expiatoire d’un brusque changement de posture. La vie politique est ainsi faite qu’elle sait brûler aujourd’hui ce qu’elle a adoré hier encore.

Désormais donc, c’est l’union sacrée qui prévaut. La calculette, devenu un gros mot, se fait discrète. La vie du pays est rythmée par les oracles des nouveaux apôtres qui composent le Conseil scientifique. Les soignants ont brusquement les moyens de soigner.

Mais, loin des caméras, de la haute technicité des salles de réanimation, des scopes et des respirateurs, entrés désormais dans le vocabulaire quotidien, le bras-de-fer demeure : discret, florentin, attendant le départ des caméras, certain de la volatilité des images et des mémoires.

Une spécialité médicale n’aura pourtant pas profité de l’embellie : c’est la psychiatrie publique. Or, la bronca hospitalière qui a précédé la pandémie du Covid-19 traduisait également la colère de l’hôpital psychiatrique, ou plutôt la fatigue et le désarroi de ses troupes, qui fondent par ailleurs comme neige au soleil.

Là, pas de résultats spectaculaires, de victoires flamboyantes, « juste » le travail quotidien d’équipes pluridisciplinaires. Entre les murs d’hôpitaux spécialisés ou dans des structures disséminées sur le territoire national. Elles accompagnent, soignent, soutiennent des milliers de personnes – adultes et enfants – en souffrance psychique, et leurs familles. Ce sont les hussards d’une discipline qui, comme tous les domaines de la médecine n’a pas échappé au phénomène d’hyperspécialisation qui a réduit les vocations pour la pratique de la « psychiatrie générale ». Les équipes hospitalières n’en conservent pas moins, à côté de leur rôle de soignants, l’ambition républicaine de maintenir une offre de soins spécialisés qui se préoccupe d’équité territoriale. Elles doivent actuellement inventer de nouvelles modalités de travail pour respecter les contraintes du confinement : consultation et maintien des liens par téléphone avec les patients éloignés, réunions et concertations thérapeutiques en visioconférence, liens avec les autres intervenants non hospitaliers. Elles se heurtent pourtant à des difficultés autour de la gestion des patients, cibles rêvées et faciles en ces temps d’oukazes sécuritaires sur les risques de contamination.

On voit alors réémerger, à peine voilée, la tentation des cadres administratifs de vouloir piloter la pratique des soignants : leurs choix quant à l’opportunité des consultations urgentes, leurs prescriptions en matière de sortie des malades. La sécurité sanitaire, en ces temps de pandémie, devient une préoccupation trop sérieuse pour être laissée à l’appréciation des psychiatres au sein des « cellules Covid-19 » mises en place dans les établissements spécialisés. On assiste ainsi à de nouvelles « prescriptions » administratives : restriction des périmètres de promenade, confinement autoritaire dans les chambres, limitation des visites et des autorisations de sortie, suppression des temps d’ateliers collectifs. L’objectif n’est plus le soin psychothérapeutique, mais la prévention de la contamination. Quand bien même il faudrait s’opposer aux prescriptions des soignants, qui, spécialité oblige, se voient octroyer des masques avec parcimonie. Ces derniers sont d’abord destinés aux « vrais » docteurs. Ceux qu’on voit désormais sur tous les plateaux télé.

Foucault revient, ils sont tous devenus fous, contaminés par l’épidémie d’illusions sur le bio pouvoir !

Lire aussi > Le soin psychique à l’épreuve du confinement

Dans la série les déconfinés :

« On nous a dit “vous auriez dû rester ouverts”, puis dans la foulée “il faut fermer” »

« Certains des patients ne comprennent pas grand-chose à la situation, d’autres captent très bien »

Publié dans
Tribunes

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