Masques : quand la stratégie industrielle française était une mesure d’urgence

Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, au début des années 2000, la France avait bien une stratégie industrielle française ambitieuse en matière de production de masques. Totalement abandonnée à partir de 2011.

Nadia Sweeny  • 3 avril 2020
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Masques : quand la stratégie industrielle française était une mesure d’urgence
PHOTO: usine de masques à Wenzhou en Chine ©NOEL CELIS / AFP

La France manque de masques, notamment des FFP2 qui protègent le porteur des émissions des autres, principalement dévolus au personnel soignant, dont les besoins sont évalués à 40 millions par semaine. Emmanuel Macron, lors d’un déplacement dans une usine de fabrication à Angers mardi 30 mars, annonce l’augmentation de la production française de 15 à 40 millions de masques (chirurgicaux et FFP2) d’ici au mois de mai. Mais l’immense majorité des stocks – 600 millions – doit, en fait, arriver de Chine.

Lire aussi l'autre volet de notre enquête. Comment l’État a flingué l’usine qui fabriquait ses masques

La tension sur le marché international est telle que les États-Uniens récupèrent les cargaisons sur les tarmacs, payant le double du prix alloué à la France : à l’heure de l’économie de marché, celui qui paye le plus obtient gain de cause. « On ne peut pas demander aux gens de l’avoir prévu il y a dix ans », a lancé le président de la République, agacé par les critiques. Mais qu’en est-il des stratégies d’il y a quinze ans, dans lesquelles l’industrie française tenait une place de choix ?

2005 : « Il faut mettre en place une industrie française du masque ! »

Dès 2003, face à l’épidémie de Sras en Asie, le gouvernement français réfléchit à une stratégie de production de masques français. « À cette époque, nous étions le seul fabricant français et j’ai été contacté dès 2003 pour réfléchir à cette stratégie », se souvient Roland Fangeat, ancien président de l’usine de Plaintel en Bretagne, qui deviendra la première productrice d’Europe grâce au contrat passé avec l’État, contrat que Politis s’est procuré, avant de fermer ses portes (lire ici notre enquête sur l’usine de Plaintel).

Dès 2005, la dépendance de la France à la production étrangère et aux potentielles ruptures d’approvisionnement en cas de pandémie mondiale est au cœur des préoccupations. Cette année-là, devant la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les mesures préventives face à la grippe aviaire, Gérard Dumont, haut fonctionnaire de défense au ministère de la Santé, en charge de la question des masques, pointait l’urgence :

Les masques posent un problème un peu particulier dans la mesure où il faut tout importer de très loin […]. Il va de soi qu’en cas d’événements infectieux graves à l’échelle mondiale, les exportations s’arrêteront. Il faut mettre en place une industrie française du masque !

Problème : avant 2005, « il n’y avait pas réellement d’industrie du masque en France, admet Didier Houssin, directeur général de la santé en 2005. Alors, avec Bercy, on a lancé des marchés publics pour donner naissance à cette industrie. On était dans un esprit de stock de défense. » Une logistique d’arsenal militaire. La première commande est confiée à sept prestataires dont une seule entreprise française : Bacou-Dalloz, propriétaire de l’usine de Plaintel, pour 12 millions de masques. Le prix du masque FFP2 est fixé à 35 centimes l’unité, sans possibilité de variation en fonction du marché. Les usines adaptent leurs lignes de production, dévolues en priorité à subvenir aux besoins de la France. Un contrat est signé, qui équivaut presque à une délégation de service public. Ce soutien industriel prend place dans le plan grippal mis sur pied.

Plan grippal : quand la stratégie industrielle française devient une mesure d’urgence

« À mon arrivée en 2005, nous étions, en plus, sous la menace d’une pandémie de H5N1 (grippe A), explique Didier Houssin. On a donc monté des cellules interministérielles et on a mis en place le plan grippal. » Dans toutes les variantes de ce plan, jusqu’à celle de 2009 incluse, dès les premières phases d’émergence d’une épidémie, « la constitution de stocks nationaux de produits de santé et de matériels de protection », accompagnée du « renforcement des capacités de production de masques par l’industrie française », apparaît dans les mesures d’urgence pour « préparer le dispositif national de réponse à une pandémie ». Ces mesures, présentes dans le plan de 2009 (consultable ici) ont totalement disparu de la version du plan de 2011 (consultable ici), avec le changement de stratégie.

Une stratégie résumée par Roselyne Bachelot, ministre de la Santé de 2007 à 2010, sur France Info : « On s’est dit : “On n’a plus besoin de stocker des masques parce que la Chine est l’atelier du monde, s’il arrive quelque chose, on sera en flux tendu, la Chine nous livrera des masques.” Sauf que la Chine ne pouvait plus nous en livrer et on s’est retrouvé “à poil”, si vous me passez l’expression. »

La logique budgétaire a tout balayé sur son passage

Aujourd’hui, Macron clame vouloir « rebâtir notre souveraineté » en expliquant qu’on ne pouvait pas savoir. Dans la même veine, Olivier Véran, ministre de la Santé, lançait, le 3 mars, à l’Assemblée nationale qu’« en 2011, il a été déterminé que la France n’avait pas à faire de stocks d’État des fameux masques FFP2. […] Ce qui n’avait peut-être pas été anticipé, c’est que parfois les crises sanitaires pouvaient engendrer des crises industrielles ».

Pourtant, l’éventualité d’une crise industrielle était tellement à l’ordre du jour avant 2011 que Gérard Dumont évoquait même à l’époque « des prototypes de masques en tissu, d’un usage très simple, à des coûts de fabrication très faibles », imaginés par des industries textiles en France pour le grand public, fabriqués « avec des matériels qui existent en France ». Aujourd’hui, c’est dans l’urgence que 85 modèles de ces masques alternatifs en tissu, proposés par 45 entreprises, viennent d’être validés. 500 000 vont être produits chaque jour. La réaction est tardive, mais en plus elle n’émane pas de l’État : ce sont les hôpitaux qui ont demandé des solutions pour leurs personnels non médicaux. Mi-mars, le CHU de Grenoble a publié le patron d’un modèle lançant un appel aux couturiers amateurs, alors qu’en 2005 « ces prototypes ont existé, confirme Didier Houssin. Mais avec l’arrivée d’un vaccin contre la grippe aviaire, notre priorité s’en est détournée ».

En 2011, la logique budgétaire balaie tout sur son passage, entérinée par le gouvernement Hollande, sa ministre de la santé, Marisol Touraine, et son conseiller en charge de la sécurité sanitaire, Jérôme Salomon, aujourd’hui directeur général de la santé…

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