Révolte et inquiétude au centre de rétention du Mesnil-Amelot
Les retenus du centre de rétention du Mesnil-Amelot ont de nouveau manifesté contre l’absence de protection sanitaire. Selon les témoignages, la police serait violemment intervenue pour faire cesser le mouvement de révolte. Pendant ce temps, les premiers cas de Covid-19 ont été détectés au centre de Vincennes.
Depuis plusieurs semaines, les personnes retenues dans les centres de rétention administrative (CRA) ne cessent de dénoncer leur maintien en rétention et demandent leur remise en liberté dans la mesure où les expulsions sont rendues quasiment impossibles.
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Samedi soir, une quarantaine d’hommes enfermés dans le centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) ont manifesté dans la cour du bâtiment pour exiger une fois encore leur libération et dénoncer les mauvaises conditions sanitaires dans lesquels ils sont actuellement retenus.
Malgré les recommandations gouvernementales en matière de protection sanitaire, « les résidents du CRA continuent de manger dans le même réfectoire et de dormir dans des chambres doubles voire triples alors qu’ils n’ont toujours ni gel hydroalcoolique ni masques à disposition », assure Me Patrick Berdugo, vice-président de l’association des Avocats pour la défense des droits des étrangers (Adde). Selon un communiqué commun rédigé par les « prisonniers », le mouvement de révolte aurait commencé lorsque la police aurait « tabassé » et « gazé » l’un des retenus, qui avait gardé du pain sur lui en sortant du réfectoire :
Par solidarité avec lui nous avons franchi les grilles pour nous rassembler dans la cour. Le directeur du centre a alors cadenassé l’entrée des bâtiments, en nous disant que nous dormirions par terre, et a pris nos matelas pour nous punir.
Contraints de passer la nuit dehors, les retenus n’ont été délogés de la cour du centre de rétention que le lendemain. Selon eux, les forces de l’ordre sont intervenues en fin de matinée pour disperser les protestataires à coups de matraque et de gaz lacrymogènes. Des affirmations que conteste la préfecture. « Il y avait une soixantaine de gendarmes et de policiers, assure de son côté un retenu du Mesnil-Amelot joint par téléphone. Ils nous ont aussi couchés au sol pour nous fouiller de manière très brutale et ont piétiné nos papiers et nos affaires. C’est pas possible de nous traiter comme ça. »
« L’un de nos relais nous a effectivement dit qu’une personne était passée à l’infirmerie samedi soir, reprend Patrick Berdugo, faisant allusion à la personne qui aurait été violentée pour avoir gardé un morceau de pain sur elle à la sortie du réfectoire. Mais il est très difficile de savoir pourquoi et dans quel cadre cette personne a été prise en charge, et ce qui a pu être constaté en termes de blessure ».
Avec le retrait des personnels associatifs, il serait de plus en plus difficile de savoir ce qu’il se passe à l’intérieur, et « nous avons du mal à suivre puisque l’institution ne communique pas », regrette l’avocat. En conséquence de quoi, l’Adde a décidé de saisir, lundi 13 avril, le Défenseur des droits afin qu’il sollicite le préfet de Seine-et-Marne et lui demande de faire remonter les informations.
Transfert des « leaders »
Lors de l’intervention des forces de l’ordre, au moins sept personnes ont été éloignées du reste du groupe encore présent dans la cour du centre de rétention. Selon plusieurs sources, ces hommes auraient été considérés comme les « leaders » du mouvement de protestation par les forces de l’ordre, puis transférés dans les centres de rétention de Rouen et de Lesquen, près de Lille.
« Je crois que leurs téléphones ont été confisqués car je n’arrive plus à les joindre », s’inquiète l’un des retenus, expliquant que les personnes éloignées étaient aussi leurs « porte-parole ». Pour l’avocat de l’Adde, l’organisation des transferts de ces retenus en pleine épidémie est « irresponsable » mais semble correspondre à la ligne des autorités « qui assurent que les règles sanitaires sont respectées au sein des CRA ».
En fin de semaine dernière pourtant, un premier cas de contamination au Covid-19 a officiellement été signalé au centre de rétention de Vincennes. Depuis, un deuxième cas, le compagnon de chambre du premier, a lui aussi été diagnostiqué, selon Me Patrick Berdugo, tandis qu’un troisième attend ses résultats et qu’un quatrième présente des symptômes. « Nous avons du mal à savoir si des mesures de confinement spécifiques ont été prises à Vincennes puisque qu’il est très difficile de discuter avec l’administration », estime l’avocat, pour qui la gestion du premier cas s’est mal passée :
Lorsque le premier cas a commencé à ressentir les symptômes, le lundi 6 avril, il en a parlé tout de suite, mais n’a été testé que le mercredi. Il a fallu attendre le vendredi pour que l’homme soit finalement assigné à résidence dans un centre Covid-19. En clair, le processus a duré 4 jours alors qu’il est censé être immédiat, ou presque.
Afin de demander la fermeture temporaire du centre de rétention de Vincennes, l’Adde, le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Gisti ont déposé le 11 avril une requête en référé-liberté. Les trois organisations vont plaider ce mardi, à 15h, devant le tribunal administratif et tenter de convaincre le ou la juge que « la poursuite de l’activité de ce centre constitue un risque sanitaire avéré et que la privation de liberté engendre un risque disproportionné à la vie et à l’intégrité physique des personnes retenues, alors qu’au surplus la justification du maintien en rétention en vue d’un hypothétique éloignement est particulièrement douteuse ».
Face à la crise sanitaire, cinq organisations avaient également saisi le Conseil d’État le 23 mars pour demander la fermeture temporaire de tous les centres de rétention administrative, estimant que les mesures barrières de protection adaptées n’étaient pas mises en place, et que maintenir leur état de fonctionnement exposait les personnes retenues et les personnels qui y travaillent à une contamination.
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Cette requête auprès de la juridiction administrative suprême rappelait aussi qu’une personne étrangère n’ayant commis aucune infraction ne pouvait être retenue qu’en vue d’une expulsion. Ce qui est aujourd’hui quasiment impossible. Fin mars, le Conseil d’État a malgré tout refusé la fermeture provisoire des CRA, arguant que la rétention n’était pas « un facteur d’évolution de l’épidémie ».
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