Sarah Maldoror : L’œil au combat

Sarah Maldoror est morte à l’âge de 90 ans du Covid-19. Cinéaste, elle a été la première femme noire à réaliser un long-métrage. Son œuvre est une ode aux luttes et à la culture africaine.

Christophe Kantcheff  • 22 avril 2020 abonné·es
Sarah Maldoror : L’œil au combat
© Sarah Maldoror avait choisi son pseudonyme en hommage à Lautréamont et aux surréalistes.Photo : DR

C ’est un guerrier ! » Ainsi parlait Jean Genet de Sarah Maldoror, morte le 13 avril à l’âge de 90 ans du Covid-19, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Elle avait, c’est certain, un tempérament exceptionnel pour avoir réussi à se faire une place dans le milieu du cinéma : elle a été ainsi la première femme noire à réaliser un long-métrage, Sambizanga.

Cependant, la première inclination de Sarah Maldoror n’était pas pour le cinéma. Née le 19 juillet 1929 dans le Gers d’une mère du cru et d’un père de Marie-Galante, dans l’archipel guadeloupéen, elle se passionne d’abord pour le théâtre. Dans le film qu’Anne-Laure Folly lui a consacré en 1998, intitulé Sarah Maldoror ou la nostalgie de l’utopie, la cinéaste dit qu’elle aurait aimé devenir une grande -tragédienne, mais elle ajoute : « Est-ce qu’il y a des rôles pour les femmes noires ? » Ce qui ne l’a pas empêchée d’être reçue à l’école de la rue Blanche et de cofonder une compagnie de théâtre, Les Griots, l’une des premières à être uniquement composées d’acteurs noirs. Ils montent Césaire, Genet (Les Nègres) et Pouchkine, lui-même d’ascendance africaine… C’est à cette période que Sarah a choisi pour pseudonyme Maldoror en hommage à Lautréamont et au surréalisme.

En 1961, Sarah Maldoror prend le chemin de Moscou, où elle suit les cours du très réputé Institut national de la cinématographie Guerassimov. Au terme de ses études, elle rejoint le terrain de bataille de ce qui sera sa -deuxième passion : les mouvements africains de décolonisation et d’émancipation des peuples. En Guinée et en Guinée-Bissau, mais aussi en Angola, aux côtés de son compagnon rencontré à Paris, où il était en exil, le poète Mário Pinto de Andrade, cofondateur du Mouvement populaire de libération de l’Angola.

À Alger, où elle s’est installée en 1966, elle travaille avec Gillo Pontecorvo et William Klein avant de passer elle-même à la réalisation. Dans le film d’Anne-Laure Folly, Sarah Maldoror explique : « On parlait de la guerre civile au Vietnam mais jamais des guerres africaines. Donc, je me suis dit : “Reporter en Afrique, filmer les guerres, cela doit être extraordinaire !” Parfaite illusion : c’était terrible, bien sûr ! Pour intéresser les gens à l’Afrique, j’ai choisi de faire une fiction, Sambizanga_. Je suis partie de faits historiques, que j’ai arrangés. Le cinéma va dans tous les pays, dans tous les milieux. D’un seul coup, on a parlé de l’Afrique ! »_

Sambizanga n’est pas son premier film. Elle a réalisé auparavant un court-métrage, Monangambee, et tourné un long dont il ne reste rien, Des fusils pour Banta, les bobines lui ayant été confisquées par l’armée algérienne avant son expulsion. Mais Sambizanga, tourné en 1972 alors que le mouvement de libération en Angola était toujours en cours, et qui met en scène la trajectoire politique, dans ce pays, d’une femme dont le mari est torturé à mort, assoit sa réputation. Sarah Maldoror devient une figure du cinéma africain, seule femme parmi des hommes, les Ousmane Sembène, Ababacar Samb Makharam, Mohammed Lakhdar-Hamina… De retour en France, la cinéaste s’oriente vers le documentaire, où elle montre une prédilection pour les portraits d’artistes et de poètes (Césaire, René Depestre, Léon-Gontran Damas, Aragon…).

Dans un communiqué annonçant la mort de Sarah Maldoror, ses deux filles, Annouchka de Andrade et Henda Ducados, parlent d’« une rebelle franche, une humaniste déterminée [qui] a célébré l’engagement politique […] de l’art en tant qu’acte de liberté. » Puis elles citent les mots qu’Aimé Césaire avait consacrés à son amie : « À Sarah Maldo, qui, une caméra à la main, lutte contre l’oppression, l’aliénation et s’envole au visage de la connerie humaine ».

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes