Classique, jazz, électro : comment faire de la musique sans polluer ?

Aujourd’hui dans #DéconfinonsLesIdées, des musiciens lancent des pistes pour verdir leur industrie. Des éco-pratiques qui ont aussi l’avantage de sortir la musique de la course au profit. Regards croisés entre un professeur de culture musicale et de composition, un guitariste et programmateur de festival et le fondateur de Solar Sunset.

Céline Husétowski  • 15 mai 2020
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Classique, jazz, électro : comment faire de la musique sans polluer ?
© Photo prise par Craig Dennis

Même si la musique est souvent synonyme de plaisir, elle n’échappe pas pour autant à la pollution. Avion pour les artistes, son et lumière sur scène, bouteille de plastique dans les festivals, autant de sources de pollution qui dégradent avec le temps l’environnement et l’image de la musique. Si la question écologique n’est pas encore dominante dans cette industrie culturelle, certains musiciens défrichent le terrain pour réconcilier musique et écologie.

« Attribuer des financements sur critères écologiques dans le classique »

Dans le monde très feutré du classique, on n’a pas l’habitude d’aborder les enjeux écologiques. Et pour cause, le financement des orchestres dépend essentiellement de l’aide publique et du ministère de la Culture, qui juge sur des critères de productivité. « Quand on veut obtenir une subvention pour un ensemble, il faut prouver son rayonnement, explique Gilles Schuehmacher, professeur de culture musicale et de composition au conservatoire régional de Rueil-Malmaison. Si vous avez fait dix dates à l’étranger, c’est bon pour votre dossier », résume-t-il. Et pourtant, l’une des principales sources de pollution dans la musique classique, c’est l’avion.

En 2018, devant l’urgence qui pointait déjà son nez, le professeur avait cofondé avec la pianiste Vanessa Sanfilippo le collectif Action Musique Climat et lancé un premier appel . Avec le Covid-19, l’appel a été transformé en tribune : « Pour un monde musical écologique et social ».

Et pour Gilles Schuehmacher, « c’est aux musiciens d’impulser le changement et d’inciter leurs partenaires à revoir leurs critères de subvention », insiste-t-il.

Dans le classique, l’État juge sur une logique à l’ancienne alors qu’il devrait prendre en compte l’empreinte écologique et l’apport social d’un projet.

« Et puis il y a aussi le problème des mécènes privés, qui financent la culture, et qui exploitent les énergies fossiles », ajoute-t-il.

Mais pour autant, pas question d’arrêter les déplacements qui font voyager la musique « mais on peut aussi le faire en train », précise-t-il. La tribune propose aussi de privilégier l’ancrage territorial. « Passer plus de temps sur un territoire permet d’approfondir l’échange entre les musiciens et leur public. Ces échanges seraient plus vertueux et moins consuméristes », analyse-t-il. Et la musique a tout comme l’écologie un rôle à jouer dans la société. Leur point commun : « Toutes les deux aident à mieux vivre ensemble », conclut-il.

« Un public acteur plutôt que consom’acteur dans le jazz »

Dès sa première édition il y a douze ans, le festival charentais Respire jazz, annulé cette année pour cause de pandémie, avait inclus l’écologie dans son identité musicale. _« En 2009, il y avait déjà urgence écologique », se rappelle Pierre Perchaud, guitariste de jazz et programmateur du festival.

Au programme de cet écofestival, du jazz mais aussi de la restauration et boissons 100 % bio avec des produits locaux, du covoiturage, de la vaisselle et des gobelets réutilisables, des toilettes sèches, du tri et recyclage des déchets.

Et chaque année, le festival améliore ses pratiques. « L’année dernière, on a fait un geste simple mais efficace. On a remplacé les bouteilles en plastique pour les artistes par des bonbonnes en verre », explique le programmateur.

Mais le plus compliqué dans les festivals, c’est la consommation énergétique. Il faut arriver à diminuer le plus possible notre pollution sans diminuer notre qualité.

En 2019, l’écofestival avait misé sur un concert acoustique pour limiter sa consommation. Pour les prochaines éditions, le programmateur voudrait produire de l’électricité grâce à des gens qui pédaleraient sur des vélos. Le concept existe déjà mais coûte encore cher pour le festival. _« En plus, je suis sûr qu’il y aurait des gens qui seraient ravis de pédaler et qui même se relaieraient pour ça », ajoute Pierre Perchaud. L’idée, avec ce concept, serait de passer d’un public consom’acteur à un public acteur.

Mais la seule chose qui ne changera pas au festival Respire jazz, c’est la taille du festival. « On veut surtout rester un festival à taille humaine, sinon on rentrerait dans une logique de production et consommation, donc de pollution », explique Pierre Perchaud.

« Puis ce qu’il y a de bien avec les petits festivals, c’est que les artistes se mélangent au public et ça redéfinit le sens du partage. Des communautés éphémères se forment », analyse-t-il.

Pour diminuer encore les coûts liés au transport, Pierre Perchaud réfléchit aussi à développer des activités pédagogiques autour de la venue des artistes. « On aimerait programmer les artistes plusieurs soirs de suite, mais ce n’est pas encore très commun dans l’industrie musicale », analyse le guitariste de jazz.

Pierre Perchaud pense que la musique peut apporter beaucoup à l’écologie comme des valeurs de partage . Mais, pour lui, « elle n’a pas à être militante, elle se suffit à elle-même mais peut porter un message ».

« Des platines solaires pour faire passer un message écolo funky »

C’est en 2004 que DJ Nassim, fondateur de Solar Sunset, a eu le déclic de lancer des platines de mix alimentées grâce à l’énergie du soleil. _« J’habitais à Marseille où l’on a 300 jours de soleil par an, c’était un comble que personne n’y ait pensé avant », plaisante-t-il. Avec ses platines fabriquées et conçues à Marseille, il se lance dans les soirées. « Au début les gens cherchaient le fil pour comprendre comment ça fonctionnait », se rappelle-t-il.

Et puis au fur et à mesure ces platines, qui marchent aussi bien la nuit que le jour grâce au principe de l’énergie photovoltaïque, ont permis d’éveiller les consciences.

« Quand je mixe, je me place au centre du public. Les gens peuvent mieux voir mes platines et souvent ils me demandent comment ça fonctionne, explique le fondateur de Solar Sunset. Je fais ensuite de la pédagogie et j’ouvre le module », raconte-t-il. La seule pollution du système : la batterie au lithium. « Mais elle est garantie 10 000 cycles, ce qui lui donne une durée de vie d’à peu près trente ans, explique DJ Nassim. Toutefois, on ne pourra jamais atteindre le zéro impact, l’idée, c’est de polluer le moins possible », résume-t-il.

Pour ce passionné de musique, qui anime aussi des ateliers de mixage auprès des enfants, les platines solaires permettent de donner une image plus funky du développement durable. « Il y a longtemps, quand j’assistais à des réunions d’associations de protection de l’environnement, il n’y avait que des retraités ou des bobos, se souvient-il. Pas de quoi influencer le monde de l’électro qui n’est pas encore sensibilisé à ces pratiques, car la fête est par essence éphémère », regrette-t-il.

Avec cet objet tape-à-l’œil, conçu par un éco-designer, il n’a pas besoin de grands discours pour faire passer le message.

C’est l’objet qui parle à ma place, on comprend que le son est amplifié par les panneaux solaires juste en le regardant.

Et pour DJ Nassim, c’est bien ce côté funky que peut apporter l’électro à l’écologie. « Ça va permettre de sensibiliser un nouveau public, qui jusque-là ne se posait pas de question », conclut-il.

© Politis
Idées
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