Et si on pouvait arrêter de polluer avec nos outils numériques ?
Aujourd’hui dans #DéconfinonsLesIdées, nous interrogeons Hugues Ferreboeuf, spécialiste des questions numériques pour The Shift Project, think tank qui milite pour une économie décarbonée. Selon l’expert, il faudrait mieux sensibiliser les consommateurs pour qu’ils prennent conscience qu’une simple vidéo visionnée, émet aussi du CO2.
Déjà bien ancrée dans nos habitudes quotidiennes, l’utilisation des outils numériques s’est intensifiée avec la période de confinement. Selon le baromètre Odoxa-CGI, 44% des personnes interrogées ont utilisé Internet comme distraction pendant le confinement et 38% des personnes sondées, pour échanger avec leurs proches.
Si la pollution numérique n’est pas aussi visible que celle des gaz d’échappement, son empreinte carbone est pourtant loin d’être anecdotique. Elle représente aujourd’hui 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre selon l’ADEME (Agence de la transition écologique). Un chiffre qui pourrait même doubler d’ici 2025.
Les équipes du Shift Project ont publié en mai un plan de transformation de l’économie française qui inclut des pistes sur la sobriété numérique. ITW de Hugues Ferreboeuf , spécialisé dans le management des transitions (énergétique, numérique, générationnel), qui a participé à la rédaction du plan sur les usages numériques.
Qu’est-ce que la crise sanitaire révèle de nos usages numériques ?
Hugues Ferreboeuf : La période a permis de redonner de l’importance à certains usages par rapport à d’autres. En temps normal, les principaux volumes de connexion concernent les loisirs avec la consommation de vidéos ou de réseaux sociaux. Mais le recours massif au télétravail a révélé un autre usage plus économique et social de ces outils, moins perceptible jusque-là. Pendant le confinement, ces différents usages sont entrés en compétition et le gouvernement et les opérateurs ont demandé aux fournisseurs de vidéos de réduire leur débit afin d’éviter une congestion générale des réseaux. Pour autant, il n’est pas dit que cette hausse de la consommation ait un impact direct sur la planète. Nous paierons sans doute les conséquences environnementales dans les mois et années à venir, au moment où les parcs d’équipements seront dimensionnés sur la base de cette période de croissance excessive.
Dans votre plan de transformation de l’économie française, que proposez-vous pour diminuer la pollution liée au numérique ?
Aujourd’hui, notre problème majeur est l’inflation sans limites des volumes d’activité numérique, sans rapport avec ce que l’on nomme le gain d’efficacité technologique, car il n’y aura pas de miracle technologique dans les 10 ans à venir ! Pour permettre au numérique de nous remettre sur la bonne trajectoire climatique, nous devons comprendre comment ralentir cette croissance excessive. Cela passe avant tout par une meilleure sensibilisation des consommateurs, car il ne va pas de soi que le simple visionnage d’une vidéo émet du CO2.
Il faut ensuite inciter ceux qui offrent de services numériques (opérateurs de télécommunications, entreprises de matériel informatique et téléphonique) à repenser leurs modèles d’affaires, les sortir de cette logique d’esclaves de la croissance, notamment avec des services de maintenance qui permettent de faire fonctionner un terminal trois ans au lieu de 20 mois (la durée moyenne de vie d’un smartphone en France). Pour y arriver, nous avons besoin de l’appui des politiques publiques. Elles doivent encourager les modèles les plus vertueux sur le plan environnemental avec des aides financières, par exemple pour l’achat de produits reconditionnés ou l’utilisation de matériaux recyclés par un constructeur. À l’inverse, il faut mettre en place des pénalités pour les fabricants les plus pollueurs.
À l’échelle individuelle, dans mon usage personnel comme professionnel, quels sont les bons gestes à adopter pour réduire mon impact sur la planète ?
Le premier geste est de prolonger la durée de vie des équipements que l’on possède, c’est d’autant plus vrai dans un pays comme la France où l’électricité est fortement décarbonée : dans notre pratique quotidienne, c’est en fait la phase de production du matériel (téléphone, ordinateur, tablettes…) qui pèse le plus lourd pour la planète. La deuxième chose, c’est de se méfier de tout ce que l’on cherche à nous vendre sous l’appellation de « smart », qui regroupe les objets connectés. Parfois, on peut avoir l’impression de faire une bonne action pour la planète en achetant un four, un frigo ou un chauffage connecté qualifié d’intelligent. C’est bien plus un argument marketing qu’une réalité environnementale. Il faut garder à l’esprit que dès qu’on ajoute une couche numérique à un objet, celui-ci engendre un coût énergétique supplémentaire. Cette approche dite « smart » peut avoir de l’intérêt dans un cadre professionnel, mais si vous voulez faire de votre maison secondaire, où vous allez une fois par an, une « smart home », cela n’a pas de sens du point de vue environnemental. La période de confinement a été propice, pour beaucoup d’entre nous, à distinguer ce qui était nécessaire de ce qui était superflu dans notre quotidien. Cette prise de conscience doit nous aider à prioriser notre consommation numérique.
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