La gauche au grand complet engage un travail commun sur le « monde d’après »
Une visioconférence rassemblait, le 20 mai, les principaux partis et mouvements politiques de gauche, la CGT, Greenpeace, Attac et une quinzaine d’organisations écologiques et sociales. Une discussion « historique » qui révèle une volonté de travailler ensemble.
Toutes les formations de gauche étaient là, ou presque. Mercredi 20 mai, à l’invitation d’une large palette de syndicats et d’organisations de la société civile (1) qui avaient lancé, le 27 mars, l’appel commun « Plus jamais ça », EELV, La France insoumise, Génération.S, NPA, PS, PCF et Place publique ont accepté de se mettre autour de la même table (virtuelle) pour envisager une initiative commune.
Julien Bayou, Olivier Besancenot, Cécile Duflot, Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel… « Une telle brochette au même endroit, c’est très impressionnant », glisse Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement, qui participait à la réunion qui se tenait à huis clos. Les partis et organisations de la société civile avaient en effet choisi d’envoyer leurs têtes d’affiche, pour cette première rencontre sur l’application Zoom qui réunissait au total 51 personnes.
Attac et la CGT font les présentations, Benoît Teste, de la FSU, distribue la parole… Au cours de 2 heures 15 d’un premier échange « cordial », un brin « solennel » – et « très masculin », grince une participante –, les représentants des partis politiques sont invités, à tour de rôle, à partager leur état d’esprit, sans ouvrir de débat ni aborder les sujets de fond. « Nous n’avons pas planifié la révolution ! » s’amuse Clémence Dubois, de l’ONG 350.org. Cette première « prise de température » vise notamment à établir une méthode et « un cadre commun de travail », afin de poser les bases d’un dialogue d’un genre nouveau, qui a vocation à s’installer dans le paysage politique.
« Ce n’était pas une réunion pour organiser un cartel »
Tous s’accordent sur un point : la fondation d’un quelconque cadre politique de rassemblement n’est pas à l’ordre du jour. « On veut agir avec les partis politiques tout en gardant notre domaine d’action », précise Mélanie Luce, de l’Unef.
Syndicats, associations, ONG et partis jalousent chacun leur indépendance (2) et personne ne rêve d’une « suprastructure » fusionnant toutes les entités. « Les partis ont rappelé plusieurs fois que notre rôle n’était pas d’œuvrer à l’union des gauches », ajoute Clémence Dubois. « Ce n’était pas une réunion pour organiser un cartel », tranche Jérémie Crépel, du côté d’EELV.
La France insoumise clarifiait également sa démarche dès la fin de la réunion, dans un communiqué écartant toute « discussion électorale » ou tout projet politique, dans « le seul but de rassemblement pour le rassemblement ». Cet éclaircissement posé, le mouvement se dit favorable à « une action commune sur des points précis ».
La crise du coronavirus n’a donc pas fait table rase des désaccords et des « enjeux d’écurie », préviennent les participants. « On l’a bien senti, dans certains sous-entendus », glisse l’un d’eux. « Le fait de travailler ensemble dans un cadre unitaire n’efface pas nos différences », confirme Manu Bichindaritz, du NPA, avant de ressortir les piques : « Olivier Faure, son problème, ce n’est pas d’aider les personnels hospitaliers, c’est la recomposition politique. »
Une volonté manifeste d’actions communes
Une fois éloigné le spectre déjà prégnant de la présidentielle 2022, les participants célèbrent néanmoins un événement « inédit ». « C’est historique », osent Jérémie Crépel et l’ancien socialiste Gérard Filoche, au diapason de la plupart des participants interrogés, qui ont surtout retenu de cette réunion la bonne volonté affichée par les partis politiques à l’idée d’agir en commun.
Benoît Teste ne boude pas son plaisir :
On est très fiers d’avoir pu rassembler les partis de gauche et les écologistes, parce que la désunion affecte notre crédibilité. Dans les discours, on a observé une grande convergence de vues.
À l’origine de cette rencontre, il y a une tentative déjà inédite de réconcilier le social et l’écologie, engagée au mois d’août 2019 à Hendaye par Attac, la CGT, Greenpeace et Solidaires, qui débattaient ensemble dans le cadre du contre-sommet du G7. « Il a fallu des compromis, tout n’allait pas de soi, témoigne Clémence Dubois, mais nous avons pris conscience que nous ne pouvions plus continuer à avancer en silos, séparés du reste des mouvements sociaux. » La joyeuse bande s’est élargie progressivement pour atteindre cet hiver le nombre de 18 organisations, déterminées à mettre sur pied une palette de propositions communes pour l’Université d’été des mouvements sociaux prévue à Nantes en août. « La Covid a bouleversé le programme et nous avons décidé d’utiliser notre rassemblement pour réagir », indique Éric Beynel, de Solidaires.
Après la publication de son texte « Plus jamais ça » le 27 mars, l’alliance, que les usages désignent désormais comme « l’appel des 18 », récolte l’adhésion spontanée de toutes les forces politiques de la gauche. Elles ne peuvent imaginer alors que cela ne les conduise autour d’une même table. « On a estimé que ça n’avait pas de sens de leur répondre un par un, alors nous avons décidé de les inviter collectivement », relate Éric Beynel.
Des propositions communes et une nouvelle réunion début juin
Depuis, les 18 organisations de la société civile échafaudent un panel de propositions pour la sortie de crise, qui doit être publié la semaine prochaine. La gratuité des masques et des tests, la prolongation du chômage partiel, la revalorisation des salaires du personnel soignant devraient notamment y figurer. « Ça ne sera pas d’une originalité folle, prévient Benoît Teste, mais c’est le fait de les avoir écrites en commun qui est inédit. » Ensemble, ils espèrent que leur appel pourra surnager au-dessus du florilège d’appels et de tribunes qui rassemblent depuis le début de l’épidémie des organisations et des personnalités en tout genre.
Ensuite ? « Nous voulons élaborer un calendrier d’actions, pas un programme politique », prévient Janine Vaux, de la Convergence nationale des collectifs de défense et développement des services publics. « On ne joue pas au jeu des élections, tranche également Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre, donc je pense qu’on ne peut travailler ensemble que dans le cadre d’actions concrètes. » Les partis sont conviés à un second rendez-vous début juin autour de la même table virtuelle pour décider d’actions à conduire sur la base des propositions de l’appel des 18.
La kyrielle de chapelles s’est donc promis de faire un bout de chemin côte à côte, par petits pas, sans perdre de vue la gravité du moment. « Il y a une accélération de l’histoire, nous prenons nos responsabilités en tant que société civile pour que des basculements s’opèrent en faveur des forces progressistes », promet Khaled Gaiji. « Nous sommes dans un moment de redéfinition des possibles, abonde Benoît Teste, pour le meilleur ou pour le pire. »
Et le meilleur n’est pas impossible, se prennent à croire les forces en présence. « L’unité, si elle se faisait, serait un déclencheur, promet Gérard Filoche. Les gens ne sont pas résignés, ils n’attendent que ça, ils ont de l’espoir et de l’impatience. » Les rapprochements de ces dernières semaines démontrent aussi, selon Jean-Baptiste Eyraud, que « chaque organisation est consciente que personne n’y arrivera seul. »
1 – Amis de la Terre France, Attac, la CGT, la Confédération paysanne, la FSU, Greenpeace, Oxfam, l’Union syndicale Solidaires, 350.org, Action non-violente-COP 21, Alternatiba, le CCFD-Terre solidaire, le Crid, Droit au logement, la FIDL, la Fondation Copernic, le Syndicat de la magistrature, l’Unef, l’UNL.
2 – Le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, parties prenantes de l’appel initial, avaient choisi de ne pas participer à cette réunion.
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