Les soignants remontent au créneau pour défendre l’hôpital
Après la mise entre parenthèse de la mobilisation pour cause de crise sanitaire, les personnels de santé réorganisent la lutte pour le service public de l’hôpital, forts des enseignements de la gestion de crise.
L’héroïsation dont ils ont fait l’objet ces dernières semaines les a beaucoup touchés, mais concrètement, « c’est toujours la bagarre au quotidien témoigne Mathieu Félix, manipulateur en radiologie au service des urgences du CHU de Toulouse, délégué syndical CGT. Ici, on n’a pas été associé à la cellule de crise Covid, notamment sur la réorganisation du temps de travail, il y a une grande opacité sur les chiffres de soignants malades. » Dans les rangs des personnels soignants, la colère n’a pas faibli ces dernières semaines. Bien au contraire. « Ils nous donnent des masques qui ne sont même pas à usage médical alors qu’à quelques kilomètres d’ici, les ouvriers d’Airbus ont des FFP2 ! », grogne-t-il.
Photo d’une boite de masques à destination des soignants du CHU de Toulouse où il est inscrit clairement « ceci n’est pas un masque à utilisation medicale »
Alors, comme plusieurs dizaines de personnels soignants, Mathieu est redescendu dans la rue ce lundi 11 mai à l’appel de la CGT et de SUD pour réitérer des demandes qui prévalaient avant la crise : plus de moyens et plus de personnels. « Ils nous ont retirés 1 500 postes sur l’ensemble du CHU de Toulouse alors que chaque année, l’agglomération gagne 20 000 habitants, s’agace Mathieu. La prime, c’est bien, mais nous, on veut une augmentation de salaire ! » Les personnels soignants veulent profiter de leur visibilité pour se faire entendre. Des groupes de Gilets jaunes à Nantes ou encore au Havre se sont rendus devant les hôpitaux pour soutenir leurs demandes.
Retrouver le sens du métier
« Il faut entièrement revoir la gouvernance hospitalière, plaide Marc Humbert, chef de service de pneumologie du Kremlin Bicêtre, en première ligne pour faire face au Covid19. Celle-ci doit être beaucoup plus équilibrée entre le médical et l’administratif ». Avant la crise, son service était menacé d’une nouvelle réduction de personnels alors que déjà, des lits fermaient faute de soignants. « Mais ça, c’était avant la guerre : les choses ne pourront pas redevenir comme ça », affirme-t-il.
Dans une tribune parue le 3 mai dans le Figaro, Marc Humbert et une vingtaine d’autres chefs de services, dénoncent « la dégradation des conditions de travail et de la qualité des soins (…) depuis la loi hôpital, patients, santé et territoires de 2009, qui a fait de l’hôpital public une entreprise. » Et réclament la fin de la tarification à l’acte. Ils insistent sur les enseignements que chacun peut tirer de cette crise pendant laquelle, « le fonctionnement de l’hôpital a enfin retrouvé une logique et une autonomie médicales. Le service de soin est redevenu la structure essentielle. Chacun a retrouvé le sens de son métier : les soignants ont soigné et l’administration les a aidés à soigner, les premiers au service des malades, les seconds, réactifs, à l’écoute. Ainsi l’hôpital a tenu bon et sauvé des vies. »
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Au Kremlin Bicêtre, où 56 chefs de service avaient démissionné pour protester contre le manque de personnels, les médecins ont donc, quelque peu, repris du galon. « La cellule de crise a été principalement gérée par les médecins : on a organisé et l’administration a suivi, témoigne Isabelle Nègre, cheffe du centre antidouleur, démissionnaire elle aussi en janvier dernier. 99% de l’hôpital a été dédié au Covid et nous avons mis en place, avec le service des soins palliatifs, des séances de pauses « détentes » et « relaxation » pour les personnels au front. »
Une solidarité qui révèle des liens nouveaux, à l’abri de la pression administrative habituelle. « Pour le moment, on nous laisse tranquille. Il y a peu d’enthousiasme de l’administration pour une reprise normale de l’activité : la peur de la deuxième vague… explique cette membre du Collectif Inter-hôpital. On a bien senti, le **changement de pouvoir pendant la crise, maintenant, il faut être vigilant à la manière dont ce pouvoir va être repris. »
Car la pression monte progressivement dans certains sites. A la Pitié-Salpêtrière, le professeur Agnès Hartmann, cheffe du service de diabétologie, a de nouveau lancé l’alerte sur le retour, en réunion avec la direction administrative, des fameux « tableaux Excel » : synonyme de pression budgétaire et de rentabilité. Et Isabelle Nègre d’annoncer : « On reprend nos AG **: une date doit être fixée cette semaine. »
"On a eu l'impression d'être libérés, comme si on nous avait ouvert une porte de prison [..] Depuis cinq jours on vit d'un seul coup une espèce de douche froide. On a à nouveau des tableaux excel, on nous pointe qu'on est en négatif sur mars/avril"
Pr Agnès Hartemann#COVID19 pic.twitter.com/1DbnaDALUV— Caisses de grève (@caissesdegreve) May 5, 2020
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