« L’évocation du “monde d’après” discute l’hégémonie néolibérale »
Si le Conseil national de la Résistance est souvent évoqué, le contexte n’est pas comparable, selon Michelle Zancarini-Fournel.
dans l’hebdo N° 1605 Acheter ce numéro
Petit lancement sympa sur quelques lignes. Endae. Nequodi taspelique sunti restem que es et fugia quame pratem et et rehenes none dus eliqui aperest otatur sus peles dolore is accaectatium sum quae core quam etur sus aliatem labor magniet omnimodi odi quiaere pedigniendi ullectotatus doloris reptat est, volorpo remporeri sae nat.
On parle beaucoup du fameux « monde d’après », potentiellement plus progressiste. Au cours de l’histoire contemporaine, des poussées en faveur des systèmes de santé, des services publics et d’une protection sociale accrue ont-elles généralement eu lieu après des crises majeures ?
Michelle Zancarini-Fournel :Si l’on compare certains moments de la seconde moitié du XXe siècle (la Libération, 1968, 1981), on voit que les contextes politiques et sociaux étaient très différents les uns des autres et que la comparaison avec aujourd’hui n’est pas vraiment opérante. L’évocation du « monde d’après » – en réalité du futur post-pandémie – est loin d’être univoque. La période du confinement n’a pas été vécue de la même manière selon les milieux sociaux, et il faut peut-être se libérer de l’image dominante dans les médias des deux parents en télétravail devant leurs ordinateurs, gérant en même temps la scolarité et l’emploi du temps de leur(s) enfant(s) et préparant les repas, tâches avant tout du domaine des femmes. Femmes et hommes des quartiers populaires ont eu d’autres vécus et d’autres façons d’appréhender le temps, même si leur utilité sociale a été (re)découverte.
L’évocation du « monde d’après » discute l’hégé-monie culturelle, politique et économique néolibérale régnant depuis quarante ans, et des propositions très diverses sont formulées, instituant des formes de débat et de dissensus dans l’espace public. Il faut ajouter à ces multiples paroles ou écrits des actions concrètes et des pratiques locales de solidarité et d’entraide, qui sont autant de propositions silencieuses, en actes, pour un autre monde.
Après la Seconde Guerre mondiale, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) a été une ligne directrice pour réformer le pays. Même si la gauche était forte, la situation post-conflit ou due à la reconstruction n’a-t-elle pas été plus déterminante pour l’adoption de telles mesures ?
Les résistants ont rédigé clandestinement le programme du CNR, publié en mars 1944, dans un pays encore en guerre. Mais la plupart d’entre eux n’ont pas mis ce programme en application, puisque très peu sont devenus des responsables politiques après-guerre. Ce programme était transpartisan, accepté de la gauche à la droite après moult discussions et compromis. Dans les mesures à adopter « dès la libération du territoire » figurent : « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » ; « l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’État après consultation des représentants de tous les éléments de cette production » ; « un plan complet de sécurité sociale ». Le terme « sécurité sociale » avait été employé pour la première fois par le général de Gaulle en 1942 ; le terme « nationalisation » ne figure pas dans ce programme.
Aux élections d’octobre 1945, les trois grands partis de la Résistance – PCF, SFIO et MRP – réunissent près de 80 % des voix. Mais l’unanimité du temps de guerre prend fin et la droite ne vote pas les mesures que certains avaient adoptées dans le programme du CNR. Contrairement à ce qui est parfois affirmé, la Sécurité sociale a été préparée par le haut fonctionnaire Pierre Laroque, mise en œuvre par les ministres Alexandre Parodi puis Ambroise Croizat (1). Une histoire mythique du programme du CNR (récemment réactivée) confond en fait la rédaction du programme lui-même, dans un contexte de guerre civile et de guerre étrangère, et son application, après le coup d’arrêt dû au départ des communistes du gouvernement en mai 1947.
En 1968, les mobilisations ouvrières et étudiantes n’ont-elles pas fait davantage pour les conquêtes sociales que le poids politique des forces de gauche ?
Effectivement, ce sont les manifestations et les grèves ouvrières et étudiantes de mai-juin 1968 qui ont pesé sur la politique du gouvernement, y compris de manière décalée avec le départ du général de Gaulle, fin avril 1969, après l’échec de son référendum. Mais il faut toutefois préciser que, malgré une légende tenace, il n’y a pas eu, fin mai 1968, d’« accords de Grenelle », mais un protocole d’accord conclu par les syndicats et repoussé ensuite par les ouvriers le 27 mai. Ce sont des accords ultérieurs de branches et de statut (fonctionnaires, ouvriers agricoles, employé·es de magasins…) qui ont donné les véritables avantages financiers. Et c’est une loi de décembre 1968 qui a adopté la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise promise lors des négociations de Grenelle en mai.
Les forces de gauche, défaites aux élections de juin 1968, se sont progressivement reconstituées, avec le congrès d’Épinay en 1971 pour le PS, puis par le Programme commun de gouvernement en 1972 (PS, PCF, radicaux de gauche), rompu en 1977 par Georges Marchais. C’est le moment où l’influence du PCF a vraiment commencé à s’effriter : électoralement (encore plus de 20 % des électeurs autour de 1968) et politiquement (notamment avec la mise en cause de l’URSS à la suite de la parution de L’Archipel du Goulag, de Soljenitsyne, en 1974).
Au cours de ces séquences historiques très différentes que sont la rédaction du programme du CNR et les grèves de mai-juin 1968, on peut déceler, ironiquement, un point commun : l’exclusion des femmes. Le droit de vote pour les femmes ne figure en effet pas dans le programme du CNR – à cause du refus des radicaux. Et aux négociations de Grenelle, du 25 au 27 mai 1968, aucune dirigeante syndicale n’était présente et rien de la situation spécifique des femmes n’a même été évoqué…
Pour remporter des victoires politiques, la gauche n’a-t-elle pas besoin d’une lente infusion idéologique ou philosophique ? La victoire socialiste de mai 1981, qui peut être lue comme l’aboutissement de ce que vous appelez « les années 68 », n’en est-elle pas un bon exemple ?
C’est l’union – apparente – de la gauche qui a provoqué l’alternance politique de 1981, avec la présence de ministres communistes au gouvernement. Mais ensuite, après l’« état de grâce » du printemps-été 1981 et l’adoption de mesures fortes très attendues (retraite, maximum horaire hebdomadaire, nouveaux droits collectifs des travailleurs, etc.), c’est le tournant néolibéral qui est pris rapidement, pour tenter de résoudre la crise, avec l’adoption de mesures bien différentes, comme le temps partiel contraint (pour les femmes, les jeunes et les plus âgés)…
(1) Résistant, Alexandre Parodi a été ministre du Travail et de la Sécurité sociale de septembre 1944 à octobre 1945. Ambroise Croizat, cégétiste et député communiste, lui a succédé jusqu’en mai 1947.
Michelle Zancarini-Fournel Historienne, professeure émérite à l’université Claude Bernard-Lyon-I.
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