Michel Piccoli quitte les choses de la vie
Notre Voyage autour de nos chambres #53 est un hommage au comédien qui s’est éteint à l’âge de 94 ans. Il a excellé dans tous les rôles, tournant avec les plus grands.
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Lire la filmographie de Michel Piccoli, c’est embrasser soixante-dix ans de cinéma français, européen et même égyptien – avec Youssef Chahine (Adieu Bonaparte et L’Émigré). Et pas n’importe lequel : le plus exigeant et le plus riche en imaginaire ! Pas étonnant qu’à l’annonce de sa mort, à 94 ans, ce 18 mai, nous avons été nombreux à penser que venait de s’éteindre l’un des plus grands comédiens que la France ait comptés.
Bande-annonce du Mépris, de Jean-Luc Godard
Il suffit de fermer les yeux et de laisser venir les images. Elles sont multiples. Celles d’un acteur toujours élégant, ne correspondant pas forcément aux canons de la beauté mais au charme fou et à la voix pénétrante, sachant la moduler pour y faire entrer tous les sentiments, de la tendresse à l’inquiétante opacité. Michel Piccoli a tout joué, avec la même maestria. Il n’est pourtant pas anodin qu’il soit enfin devenu une très grande vedette à la faveur de deux films, sortis en 1963 (il avait alors 38 ans et déjà près de vingt ans de carrière derrière lui), où il interprète des personnages n’ayant rien de solaire : un terrible salaud dans Le Journal d’une femme de chambre, de Luis Buñuel, et un mari maltraité dans Le Mépris, de Jean-Luc Godard.
Extrait de Mauvais sang, de Leos Carax suivi d’un entretien avec Michel Piccoli pour « Cinéma, cinémas » (1986)
On ne porte pas à l’écran le nom de Monsieur Dame impunément. C’était dans Les Demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy, avec qui Michel Piccoli a aussi tourné Une chambre en ville. Outre la plaisanterie que ce nom suscite dans le film – qui devait ravir l’acteur, adepte du rire –, ce patronyme fait aussi écho aux grands séducteurs qu’il a joués (notamment avec Romy Schneider dans les films de Claude Sautet, ou avec Catherine Deneuve) et surtout aux personnages doubles, complexes ou insaisissables dans la peau desquels il s’est glissé. Que ce soit chez Marco Ferreri et Manoel de Oliveira, avec qui il a tourné plusieurs films, ou chez Chabrol ou Nanni Moretti.
Bande-annonce de Habemus Papam, de Nanni Moretti
C’est que Piccoli avait aussi le goût du risque. D’où ce long cheminement avec Godard, et son implication dans des films de cinéastes intrépides : Mauvais sang de Leos Carax, L’Ange noir de Jean-Claude Brisseau, Les Toits de Paris de Hiner Saleem. En témoignent également les longs métrages qu’il a lui-même réalisés, dont La Plage noire, adapté du récit de François Maspero, ou C’est pas tout à fait la vie dont j’avais rêvé, où flotte un parfum d’absurde et de surréalisme.
Bande-annonce de Sur les toits de Paris, de Hiner Saleem
Dans son livre de mémoires, Mon dernier soupir, Buñuel écrit à propos de son ami Michel Piccoli : « J’aime son humour, sa générosité secrète, son grain de folie et le respect qu’il ne me témoigne jamais. » Assurément, un immense bonhomme.
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