Municipales : un second tour au forceps, et en bidouillant les règles
Le conseil des ministres a adopté le décret de convocation des électeurs le 28 juin. Mais les règles d’organisation de la campagne et du vote, susceptibles d’aménagements exceptionnels, font déjà douter de la sincérité démocratique de ce scrutin.
Ce n’était plus qu’une formalité. Le conseil des ministres a adopté, ce 27 mai, le décret portant convocation des électeurs le 28 juin pour le second tour des élections municipales dans les 4.922 communes qui n’ont pas encore désigné leurs élus. Dans l’après-midi, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, s’est entretenu des modalités d’organisation de ce scrutin avec les associations d’élus et des représentants des partis politiques.
Le calendrier du scrutin
Les candidats doivent déposer en préfecture leur liste (après fusions éventuelles) entre le 29 mai et le 2 juin. La campagne officielle débutera le 15 juin.
C’est donc de son propre chef qu’Édouard Philippe s’est résolu à trancher en faveur du 28 juin et à annoncer sa décision par une conférence de presse sur le perron de Matignon, vendredi dernier. Ce faisant, le chef du gouvernement a balayé définitivement les critiques sur le maintien du premier tour, le 15 mars, alors que la veille il avait décrété la fermeture des bars et restaurants :
J’assume d’avoir considéré qu’il n’y avait ce jour-là pas plus de risque à aller voter qu’à aller par exemple faire ses courses. J’assume surtout cette décision parce que dans aucune démocratie on ne peut décider en dehors de tout cadre légal d’annuler un scrutin la veille du jour où il doit se tenir.
Clore la séquence électorale
Le Premier ministre, qui a admis n’avoir « le choix qu’entre des options qui sont toutes également critiquables et présentent toutes des inconvénients », a mis en avant deux arguments pour justifier sa décision d’appeler aux urnes le 28 juin quelque 16,5 millions d’électeurs.
Premier argument : « La vie démocratique doit reprendre ses droits. » Alors que le déconfinement progressif est engagé dans le pays, « la vie municipale est en train de reprendre son cours » dans les 30.143 communes dont le conseil municipal a été élu le 15 mars, ces assemblées pouvant enfin se réunir pour élire leur maire et ses adjoints, a-t-il rappelé. Mais toutes les communes n’étant pas dans cette situation, « 1.100 institutions communautaires », soit l’immense majorité d’entre elles, sont en stand-by, a-t-il précisé.
Le second argument, économique, en découle et a manifestement pesé plus lourd que le premier : ces intercommunalités, puisque c’est d’elles qu’il s’agit, « seront aux avant-postes de la relance » et elles ont « besoin de travailler, d’investir, de se projeter dans l’avenir ». Si le gouvernement se dit (et se tient) prêt à repousser ce scrutin, dans le cas où le Conseil scientifique, consulté à nouveau pour avis dans deux semaines, s’y opposait pour des raisons sanitaires, parions que cet impératif économique et gestionnaire pèserait encore fortement.
« Que les communes et leurs intercommunalités puissent prendre toute leur part à la relance de l’activité économique de notre pays dans des conditions de légitimité et de stabilité incontestables » était aussi la demande de l’Association des maires de France (AMF), qui souhaitait au plus vite tourner la page de ce mauvais feuilleton, les collectivités locales figurant au premier rang des investisseurs publics.
Une démocratie de faible intensité
De quelle légitimité pourront toutefois se prévaloir les élus du 28 juin si, comme au premier tour, l’abstention atteint de nouveaux records ? La crainte du virus, on s’en souvient, avait généré une abstention inédite de 55,4 %, altérant la sincérité du scrutin. Nombre d’élus, notamment des ministres, ont été élus par moins de 25 % des inscrits.
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Trois mois après, alors que le virus circule encore, les électeurs, à supposer qu’ils se sentent encore concernés par un scrutin qui aura été interrompu trois mois, retrouveront-ils le chemin des urnes ? Beaucoup d’élus en doutent et pointent qu’à la date retenue certains seront déjà en vacances.
Mais pour la plupart de ceux qui contestent le refus du gouvernement de reporter le scrutin – un report au-delà de la fin juin impliquerait, avait estimé le Conseil d’État, de recommencer l’intégralité des opérations électorales dans ces 4.922 communes –, les conditions sanitaires et les conditions émises par le Conseil scientifique ne permettront pas réellement de faire campagne. Les porte-à-porte, les distributions de tracts, les cafés-débats et les réunions publiques ne sont pas envisageables d’ici à fin juin, sauf avec d’infinies précautions. Et il est toujours interdit de manifester, même en respectant les gestes barrières.
Richard Ferrand, le président (LREM) de l’Assemblée nationale, avait, le premier, estimé qu’il n’était pas « raisonnable » d’envisager un second tour des municipales « puisqu’on ne peut pas réunir plus de dix personnes ». « Sans campagne électorale, pas de choix éclairé », avait souligné également le chef de file centriste de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, qui craint qu’avec le coronavirus l’élection ait encore « une participation trop faible pour garantir la sincérité du scrutin ».
« En République, la démocratie ne se limite pas aux seuls jours de scrutin. Si on nous dit qu’il ne peut pas y avoir de campagne avant d’aller aux urnes, alors le vote ne doit pas avoir lieu. Sinon, c’est une démocratie de basse intensité qui se met en place », a aussi estimé le député de La France insoumise Alexis Corbière en défendant la position de son mouvement.
Rupture d’égalité
Dans les circonstances présentes, François Patriat, le chef de file des sénateurs LREM, pronostique « une rupture d’égalité entre les candidats ». Les maires sortants « ont fait campagne avec des masques, avec des tests, dans les écoles, dans les cantines, dans les Ehpad (…). On les a vus à la télévision, dans la presse », développe-t-il. De ce fait, poursuit-il fort pertinemment, ils « se trouvent de facto en position de force tout à fait déséquilibrée par rapport à leurs challengers ».
Et ce n’est pas le relèvement de 20% du plafond des dépenses de campagne, promis par Christophe Castaner, qui permettra de combler cette inégalité. D’autant que les règles du scrutin vont changer d’un tour à l’autre.
Avant même d’en discuter ce mercredi après-midi avec les associations d’élus et les représentants des partis politiques, le ministre de l’Intérieur a déjà laissé entendre qu’il était favorable, pour élargir la possibilité du vote, à autoriser plus d’une procuration par personne.
En autorisera-t-il deux comme le souhaitent certains élus ? Ou plus encore – trois, quatre… – comme d’autres le réclament ? Ces procurations nécessiteront-elles, comme auparavant, de se déplacer dans un commissariat ou une gendarmerie, ou le gouvernement autorisera-t-il – il en a émis la possibilité – des agents non assermentés à les recueillir, ce qui n’irait pas sans risque de fraude ?
Autre idée avancée : lever l’obligation de choisir un électeur dans sa commune pour donner sa procuration.
« Ce ne sera pas un second tour comme avant », a reconnu Édouard Philippe. En effet. Et ces pistes ne sont pas les seules envisagées par le gouvernement. Christophe Castaner s’est ainsi dit aussi ouvert à la création d’autres bureaux de vote pour diminuer la taille moyenne de chacun si les maires le souhaitent. Enfin, après en avoir écarté la possibilité, il s’est montré prêt mardi, en réponse à une question de la députée LR Josiane Corneloup, à étudier un retour du vote par correspondance, abandonné en 1975 en raison des fraudes qu’il permettait.
Ces modifications entre deux tours de la règle électorale, si elles devaient avoir lieu, créeraient un fâcheux précédent susceptible de constituer une rupture d’égalité d’un tour à l’autre.
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