Adama Traoré, George Floyd, même combat !

L’une des leçons à tirer de la manifestation du 2 juin est que la question des violences policières et du racisme structurel est centrale pour des dizaines de milliers de jeunes. La France est-elle prête à se regarder honnêtement dans un miroir ?

Jean-Riad Kechaou  • 3 juin 2020
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Adama Traoré, George Floyd, même combat !
© Photo : Julien Benjamin Guillaume Mattia / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

Les projecteurs sont braqués sur Minneapolis et les grandes villes américaines en feu depuis la mort de George Floyd. La vidéo de sa lente agonie s’est diffusée dans le monde entier telle une traînée de poudre. Et l’émotion suscitée est à la hauteur de la cruauté de ce bourreau sans pitié qui l’a assassiné. En France, comme d’habitude, l’écho est retentissant. On dénonce, on critique l’Amérique de Trump blanche et raciste sans difficulté. Des personnalités montent même facilement au créneau pour dénoncer ces violences policières outre-Atlantique. Rien de bien étonnant si ce n’est que le sujet s’était invité dans le débat national avant même la mort de George Floyd grâce à l’intervention de Camélia Jordana chez Laurent Ruquier. « Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic, et j’en fais partie », a déclaré Camélia Jordana face à l’écrivain Philippe Besson, ajoutant que « des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau ».

Jean-Riad Kechaou est conseiller municipal d’opposition à Montfermeil (Seine-Saint-Denis).

Ces propos ont déclenché une sévère condamnation du ministre de l’intérieur, des syndicats de police, de l’intelligentsia de droite mais aussi, et c’est en partie l’objet de ce texte, de personnes plus à gauche, celles-là mêmes qui dénoncent aujourd’hui le crime de Minneapolis. « Quand même en France, il y a peut être quelques brebis galeuses mais pas une violence et un racisme généralisés dans notre police ! ». Voilà ce que l’on devrait en substance admettre.

Mais la mort tragique de George Floyd a le mérite de remettre sur le devant de la scène celle d’Adama Traoré et c’est tant mieux. Adama Traoré, jeune homme noir arrêté par trois gendarmes à Beaumont-sur-Oise, est mort des suites de son contrôle. Les similitudes sont flagrantes entre sa mort et celle de George Floyd. Les analogies sont tout aussi flagrantes entre les polices de nos deux pays. N’en déplaise aux éditorialistes enragés de chaînes d’information en continu.

On peut déjà commencer par cette technique d’interpellation, le plaquage ventral, appelé aussi maintien au sol, qui consiste à maintenir un individu ventre contre sol, tête tournée sur le côté. Cette technique plus que contestée entrave la respiration et peut provoquer une asphyxie dite positionnelle. Peu après la mort de George Floyd, une vidéo d’une immobilisation d’un jeune homme noir à Paris le 28 mai a circulé sur les réseaux sociaux.

Un hasard ?

Continuons avec ce constat pour le moins étrange. Les morts en France suite aux arrestations policières sont dans leur grande majorité d’origine maghrébine ou d’Afrique subsaharienne. On compte 676 morts depuis 43 ans d’après le site Bastamag. Aux États-Unis ce sont essentiellement des noirs.

Un hasard, encore ?

En France comme aux États-Unis des médecins légistes n’ont aucun mal à disculper les policiers. George Floyd aurait une malformation cardiaque, tout comme Adama Traoré, des hypothèses contredites dans les deux cas par des expertises indépendantes.

Un hasard, de nouveau ?

Assa Traoré, la soeur d’Adama Traoré, traverse un chemin de croix pour que justice soit donnée. Mise en examen avec également trois frères incarcérés, Assa Traoré est mais elle tient bon. Le collectif Justice pour Adama a réussi hier un tour de force en réunissant devant le palais de justice plus de 40 000 manifestants malgré l’interdiction de ce rassemblement quelques heures plus tôt par le préfet de police de la capitale, Didier Lalllement. Une démonstration évidente, s’il en fallait une, que ce problème des violences policières est tout aussi grave en France. La première chose qui sautait aux yeux hier soir, c’est la jeunesse des participants. Une forte majorité de 15-25 ans était présente hier soir devant le palais de justice. La seconde, c’est la forte proportion de Noirs qui ont dit non, collectivement. Un message politique fort. Ces jeunes, à travers leurs affiches, parlaient de leurs vécus ici en France face à la police française. Cette manifestation d’envergure est certainement le début d’une nouvelle étape dans ce combat pour la justice. L’une des leçons à en tirer est que la question des violences policières et du racisme structurel est centrale pour des dizaines de milliers de jeunes franciliens. Ils n’ont pas attendu la mort de George Floyd pour dénoncer ces maux. L’autre leçon c’est qu’aucun parti politique ne pourra cette fois-ci instrumentaliser cette lutte et la récupérer politiquement. Comme le parti socialiste en 1983 après la Marche pour l’égalité et contre le racisme et la création de SOS Racisme pour contrôler cette lutte. Les militants ont maintenant assez d’expériences pour ne pas tomber dans ce piège.

Alors pourquoi refuser de reconnaître que notre police est elle aussi gangrenée par le racisme et la violence ? Et que cela perdure depuis la seconde guerre mondiale. Les juifs d’abord, durant l’Occupation, puis les Algériens pendant la guerre d’Algérie et aujourd’hui toute cette jeunesse des quartiers populaires originaires pour la plupart de nos anciennes colonies. C’est ce que j’ai osé dire à Yves Lefèvre, le secrétaire général SGP Police FO dans un débat télévisé sur les relations entre les jeunes et la police il y a quelques années. Il s’était bien sûr offusqué durant l’émission m’expliquant hors caméra qu’il était dans son rôle. Un peu comme aujourd’hui lorsqu’il propose de se suppléer à notre ministre de l’intérieur pour débattre avec Camelia Jordana.

Que pourra-t-il lui répondre si elle lui rappelle les origines de la BAC ? Une police mise en place à titre expérimental en Seine-Saint-Denis par le préfet Pierre Bolotte, qui s’était fait connaître pour sa répression violente en Guadeloupe en mai 1967 et passé également par l’Algérie et l’Indochine, deux pays en pleine guerre d’indépendance ?

Le hasard toujours ?

Aucun moratoire n’a pu être fait sur la doctrine du maintien de l’ordre de la police française. Il est pourtant nécessaire. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, le réclame sans succès depuis 2015. Comme si L’État craignait les forces de l’ordre, en ayant bien conscience que leur fidélité repose sur un abandon de toute réforme.

Une prise de conscience est pourtant indispensable. Inès Sediki l’expliquait très bien récemment dans une tribune dans le Huffington Post :

« Si une partie de notre jeunesse en veut tellement à la police c’est qu’elle attend quelque chose d’elle, et de son pays. Et si nous nous battons pour dénoncer ces dérives et leurs causes structurelles, c’est parce que nous voulons faire corps, pas sécession. »

On doit pouvoir se sentir en sécurité à proximité d’un policier que l’on soit blanc à Paris ou noir à Montfermeil. Et ce n’est malheureusement pas le cas. En écrivant mon livre en 2015 sur le quartier des Bosquets, j’ai relevé des dizaines de contrôles violents dont certains ont abouti à une condamnation des jeunes contrôlés pour outrage et rébellion. Il faut le rappeler avec force : ce sont la plupart du temps de simples contrôles d’identité qui débouchent sur des interpellations violentes comme le rappelait récemment Sebastian Roché directeur de recherche au CNRS : _« En France comme aux États-Unis, les policiers vont particulièrement cibler les minorités en matière de contrôles d’identité, ce qui n’est pas le cas en Allemagne, par exemple. Or, un contrôle d’identité, c’est une interaction avec la police qui peut déraper : des gens peuvent se rebeller, des policiers faire usage de la force, parfois de violence physique. Souvent, les contrôles sont le point de départ d’une situation qui va se dégrader. »

Oui, ces contrôles sont ciblés. Une enquête du Défenseur des droits soulignait, en 2017, que les jeunes hommes « perçus comme noirs ou arabes » ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés » que l’ensemble de la population…

Les jeunes des quartiers populaires continuent donc se méfier de la police et rien n’a changé malheureusement depuis la mort de Zyed et Bouna en 2005.

Excepté les CLJ (centres de loisir de la jeunesse encadré par la police nationale), qui font un bon travail de prévention dans une quarantaine de quartiers, c’est notamment le cas à Montfermeil, en plein cœur de la cité des Bosquets, la police de proximité et celle chargée de la prévention ont été globalement abandonnées depuis le passage de Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur.

À Montfermeil, la seule façon de faire diminuer ces contrôles fut le cop waching du réalisateur Ladj Ly, puis l’installation de caméras dans le quartier. Filmer n’est pourtant pas la solution de ce problème mais une alerte. Et le député Éric Ciotti veut une loi pour empêcher la diffusion de vidéo d’interventions policières… Histoire de nier encore plus le problème.

Il y a maintenant un an, le film les Misérables connaissait un succès retentissant à Cannes puis dans les salles de l’Hexagone. Le président Emmanuel Macron s’était même déclaré ému après l’avoir regardé.

Alors pourquoi le plébisciter pour ensuite remettre en cause le constat émis par Camélia Jordana ? Ladj Ly avait pourtant laissé une porte ouverte au débat en intégrant dans son équipe de la Bac un policier noir, lui même issu de ces quartiers, habité par des remords, mais surtout un policier novice en banlieue parisienne qui refuse les méthodes brutales et racistes du chef de l’équipe. C’est sans aucun doute ce personnage du bleu, symbolisant la conscience du spectateur, tout en les rassurant aussi sur l’état de notre police, qui a permis le succès médiatique du film.

Comment aurait été accueilli le film si les trois policiers étaient 3 hommes blancs racistes et violents comme Chris, le chef de cette équipe de la BAC, joué avec brio par Alexis Manenti ? La question mérite d’être posée.

La réponse est que pour le moment, la France n’est pas prête à se regarder honnêtement dans un miroir. Préférant dénoncer les maux des autres pays ou applaudir des deux mains un film, une façon peut être de se donner bonne conscience. Espérons donc que les événements actuels inaugurent un changement radical de ce paradigme.

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Tribunes

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