Bordeaux prend un virage historique

L’alliance gauche-écologistes dirigée par Pierre Hurmic ambitionne de bouleverser une ville ancrée à droite depuis la Libération.

Pauline Achard  • 29 juin 2020 abonné·es
Bordeaux prend un virage historique
Pierre Hurmic a remporté la mairie avec 46,48% des suffrages.
© NICOLAS TUCAT/AFP

A dieu la droite », scandent les militant·es écologistes devant le siège du nouveau maire de Bordeaux, Pierre Hurmic. Des centaines de personnes se sont réunies dimanche 28 juin autour du candidat EELV pour fêter sa victoire historique à l’issue de la triangulaire du second tour. C’est dans la cohue et l’émotion que les partisans de la liste « Bordeaux respire » ont investi la cour carrée de l’hôtel de ville, à droite depuis soixante-treize ans. Dans l’opposition depuis 1995, l’avocat a remporté l’élection avec 46,48 % des suffrages contre 44,12 % pour le maire sortant Les Républicains (LR), Nicolas Florian, allié à LREM.

« Je ne réalise pas du tout, je suis sous le choc », confie Stéphane Gomot, colistier de Pierre Hurmic, représentant du mouvement Génération·s. « Les élections de ce soir prouvent que les Bordelais et les Bordelaises nous savent responsables, qu’ils et elles savent que l’écologie n’est pas une lubie mais une vraie culture politique », souligne le jeune homme, nouvellement membre du conseil municipal. Pour Pierre Hurmic, cette victoire est synonyme d’un changement radical de la société : « Il aurait été anachronique que le monde change et que Bordeaux stagne. »

« Nous en avons fini avec ce monde conservateur, éloigné de l’humain et la nature », estime Jean-Baptiste Tomi, policier en 29e position de la liste « Bordeaux Respire ». « Ce jour marque, comme à Lyon ou Marseille, le passage du monde d’hier au monde de demain », se réjouit-il.

Pour Sandra Barrère, fondatrice de l’association Aux arbres citoyens et membre du collectif inter-organisations en charge des auditions des candidats sur les questions environnementales, la Convention citoyenne pour le climat a été une véritable bascule dans l’opinion publique. « À l’évidence, les propositions de cette convention, parues quelques jours avant le second tour, auront permis à bon nombre de citoyens de se documenter et de s’emparer de l’enjeu du réchauffement climatique. » L’activiste souligne d’ailleurs la volonté de Pierre Hurmic d’impliquer les Bordelais·es dans les décisions municipales, de façon à renforcer le processus démocratique et à sensibiliser la population aux enjeux de l’écologie. Pour ce faire, la tête de liste EELV propose notamment de lancer des « assises du pouvoir partagé », qui permettront aux plus de 16 ans d’inscrire une question à l’ordre du jour du conseil municipal à partir de 4 000 signatures.

À l’issue des entretiens avec les candidats, Sandra Barrère avait pointé un manque de cohérence et d’honnêteté dans le programme du maire sortant et ex-bras droit d’Alain Juppé, Nicolas Florian. « Dans la panique des échéances électorales, le candidat de droite lançait le “Comité de l’arbre” en novembre dernier, explique la militante. Pourtant, un an plus tôt, l’ancien premier adjoint validait l’abattage des 17 marronniers de la place Gambetta, allant à l’encontre de l’avis des habitants qui s’étaient réunis à plusieurs reprises pour empêcher le projet d’aboutir. » Brigitte Bloch, nouvelle conseillère -municipale de la liste « Bordeaux respire » rappelle quant à elle qu’« Alain Juppé comme Nicolas Florian ont eu des années pour enclencher la transition et n’ont opéré aucun changement structurel ». Elle estime que la victoire de Pierre Hurmic est symptomatique d’un changement de vision lié au réchauffement climatique, mais aussi de transformations du schéma sociologique au sein de la capitale girondine.

« Ce résultat historique est caractérisé par un fossé social qui se creuse depuis des années, notamment à cause de la gentrification et des politiques libérales, explique Philippe Poutou, tête de liste de « Bordeaux en lutte » (3e du second tour avec 9,39 % des voix). Cette bascule à gauche traduit un discrédit du gouvernement en place et une réponse politique à un climat social que la population subit depuis maintenant trop longtemps. » Avec les deux autres élus de sa liste, Philippe Poutou se présente aujourd’hui comme le garant d’un changement plus radical, promis par la liste de Pierre Hurmic. Malgré ses divergences avec le nouvel édile, l’ancien ouvrier de Ford est rassuré de ne pas avoir à s’opposer à une droite juppéiste. « Aujourd’hui, nous avons les outils pour faire changer les choses, profondément, et nous y travaillerons pour pérenniser cette impulsion », promet le nouveau conseiller municipal.

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