Coronavirus, couronnement des sociétés sécuritaires
La gestion autoritaire de la pandémie de Covid-19 marque une nouvelle étape dans un processus continu de recul des libertés individuelles dont pâtit la citoyenneté, soutient le sociologue Réda Benkirane.
La crise sanitaire provoquée par la pandémie du Covid-19 s’inscrit dans une série d’événements d’ampleur planétaire ayant généré un état de choc et de sidération – du 11 septembre 2001 aux révoltes sociales de 2011-2019 en passant par l’effondrement financier de 2008 et l’accident nucléaire de Fukushima de 2011. Malgré toute l’incertitude générée par le Covid-19, il est probable que son principal dommage collatéral soit la citoyenneté et que sa retombée politique consacre un processus continu de recul des libertés individuelles. Covid-19 est le nom d’un virus mais aussi d’un catalyseur ayant précipité un mégacontrôle des populations à l’échelle planétaire.
Dans cette perspective, on ne peut que constater la fragilité avérée des systèmes de santé des pays les plus riches, là où les coûts explosent et où le manque d’équipement, le débordement des infrastructures hospitalières et le nombre de morts sont les plus spectaculaires. Le classement des mortalités par pays inverse le classement mondial des pays les plus avancés socio-économiquement. Dans le nouveau système mondial post-occidental marqué par un effondrement de leadership, les États-Unis sont le grand malade de cette crise, suivis par les pays européens les plus touchés. Mais à peu près partout – à l’exception notable de pays comme la Suède, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suisse – une politique autoritaire de la pandémie s’est mise en place.
Ce virus a, dans la plupart des pays, miné la citoyenneté et, pour nombre de dirigeants autocrates, s’est révélé une opportunité de gagner une crédibilité, quand leur « main de fer » fut particulièrement appréciée dans l’imposition du confinement. S’en sont suivies dans divers pays des violences policières dûment répertoriées, filmées sur les réseaux sociaux et restées impunies, des arrestations abusives et même des exécutions sommaires touchant les jeunes des quartiers défavorisés.
Un système de gouvernement
Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault montrait comment les sociétés disciplinaires furent mises au point, à partir de la « quarantaine sociale » instaurée lors d’épidémies de peste. Du XVIe au XIXe siècle, toutes sortes de quadrillages, contrôles, mesures et dressages d’« individus dociles et utiles » virent le jour dans une logique et des milieux d’enfermement généralisé : hôpital, armée, usine, école, internat, prison. Le perfectionnement de ces sociétés culmine dans l’architecture du panoptique, permettant de voir sans être vu pour une surveillance automatique des individus. Gilles Deleuze, quant à lui, avait annoncé dès 1987 l’avènement des sociétés de contrôle où, pour l’essentiel, la communication et l’information ne font circuler que des « mots d’ordre ». Il pressentit que « ceux qui veillent à notre bien n’ont plus besoin de milieux d’enfermement », puisque tout peut être désormais sous contrôle en milieu ouvert. Or, après la discipline et le contrôle, voici venu le temps des sociétés sécuritaires fonctionnant sur le mégacontrôle, la télé-surveillance et la télé-commande du plus grand nombre.
Au XXIe siècle, la sécurité tient lieu de politique nationale et internationale, de vision globale et panoptique, ses métiers et ses dispositifs se répandent et son cursus s’impose dans les sciences humaines et sociales. Mais la sécurité n’est que l’autre nom de la police, le renseignement l’autre versant de l’information. Sécurité et insécurité s’équivalent dans un système de gouvernement diffusant et imprégnant la peur des risques viraux (terrorisme, radicalisation, islamisme, migrants, réfugiés…). Aujourd’hui, sécuriser, coûte que coûte, est la première des priorités, elle a préséance sur la prospérité, la viabilité, la solidarité, la liberté, le développement et les droits humains. L’heuristique de la peur permet de court-circuiter la concertation citoyenne sans jamais devoir présenter de bilan comptable sur l’économie politique de ses « guerres », sur ses erreurs stratégiques, ses dommages collatéraux et sa cécité empirique.
Big Pharma et Big Data œuvrent de concert
La mobilisation contre cet énième ennemi viral est une répétition générale ayant permis la mise en place de dispositifs visant à pister les moindres faits et gestes, chaque contact d’un individu. Dépossédés par les quatre ou cinq géants du numérique des données qu’ils produisent au quotidien, les citoyens voient maintenant les informations relatives à leur état de santé, à leurs maladies chroniques et/ou congénitales devenir l’enjeu d’une nouvelle captation. Nos données nous espionnent et nous contraignent.
Big Pharma et Big Data œuvrent de concert à une dépossession programmée pour exploiter ainsi des gisements qui s’en vont accroître encore l’enrichissement colossal du plus petit nombre. Bienvenue dans le monde réel où 1% des individus détient plus que 90% de la population mondiale (rapport 2020 de l’ONG Oxfam).
Les crises du futur, plus sévères, pourraient effacer la citoyenneté au détriment d’une automatisation mentale et comportementale des agents humains où, au nom de la sécurité, penser, diverger, protester, résister seraient bannis et réprimés sans merci. Assange, Snowden et les lanceurs d’alerte sont les pestiférés de ces sociétés sécuritaires où les hommes finissent par être des insectes sociaux comme les autres. Sécurité, mégacontrôle et télésurveillance de masse imposent et maintiennent la confusion là où Rousseau, dans Du contrat social (1762), établissait « une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société ».
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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