« For Their Love », d’Other Lives : Des chansons en cinémascope
Les compositions d’Other Lives sont plus que jamais des merveilles de pop orchestrale.
dans l’hebdo N° 1609 Acheter ce numéro
De l’Oklahoma, on connaît surtout les champs de maïs et, si on est porté sur la musique, J. J. Cale, disparu il y a sept ans. Une ville aussi, Tulsa, qui a donné son nom à un western et semble concentrer une grande part de l’énergie musicale – c’est notamment la ville de Leon Russel et celle du label Shelter. Depuis quelques années, il faut ajouter un groupe formidable, Other Lives, originaire de Stillwater. C’est pourtant dans l’Oregon qu’Other Lives a choisi de s’ins- taller pour écrire et enregistrer son quatrième album, s’enfermant dans une maison dont la photographie orne la pochette. Le résultat tient donc à la seule force de ce collectif de cinq musiciens sans apport cette fois de producteur extérieur. Collectif certes, mais mené/orchestré par celui qui l’a formé il y a douze ans, Jesse Tabish, et nommé en référence au film La Vie des autres. À l’écoute de For Their Love (on ne peut s’empêcher de penser au For Your Love des Yardbirds, mais c’est une maniaquerie pas forcément partagée par Other Lives), devant une splendeur de tous les instants, vient cette image de Tabish en grand prêtre ou grand ordonnateur, magicien pop, quelque part entre Phil Spector et Ennio Morricone, multipliant les instruments, superposant les lignes sonores, comme un peintre exalté qui ose enfin les grands formats, ajoutant encore et encore de la matière jusqu’à ce qu’elle enfle comme une pâte savoureuse.
Car rien n’est trop beau ni trop luxueux pour ces chansons. Les cordes qui s’élèvent parfois comme des volées d’oiseaux striant le ciel de lignes virevoltantes, rompant le silence de leurs ailes, ou qui évoquent à d’autres moments un vent brûlant qui assèche la terre. Les percussions, tambourins et castagnettes qui jettent leurs étincelles, gardiens d’un rythme que la masse sonore n’altère jamais. Les voix qui semblent tomber du ciel et pro- venir d’une multitude. Une vision de la chanson en cinémascope et conçue comme un art du mouvement qui voit dans l’envol son ultime finalité. À laquelle s’ajoute un soin apporté aux orchestrations qui doit beau- coup à l’intérêt marqué de Jesse Tabish pour la musique instrumentale, genre qu’il pratiquait avec Kunek, son groupe d’avant Other Lives, et qu’il dit écouter de manière presque exclusive, illustrant son propos en citant Maurice Ravel, Erik Satie et Steve Reich. Cette luxuriance, qui pourrait sembler déplacée face à la désolation qui parcourt les chansons, vient au contraire grandir celles- ci en leur apportant élégance et sublimation.
For Their Love, Other Lives, Pias.