Hongkong : « Nous nous battrons jusqu’à notre dernier souffle ! »

Avec la loi de « sauvegarde de la sécurité nationale », Pékin affiche sa volonté de mettre le territoire au pas. La détermination des opposants à cette mainmise autoritaire ne cesse de croître.

Valentin Cebron (collectif Focus)  • 3 juin 2020 abonné·es
Hongkong : « Nous nous battrons jusqu’à notre dernier souffle ! »
© Des manifestants pro-démocratie, le 24 mai.Photo : Kwan Wong, Paul/NurPhoto via AFP

C ’est bon ! Je suis saine et sauve », écrit Natalie Le* sur Telegram, l’application de messagerie cryptée. Il est minuit passé, heure locale à Hongkong, ce mercredi 27 mai : la jeune femme de 25 ans vient de rentrer chez elle après une journée mouvementée. Un peu plus tôt, elle défilait avec des milliers d’autres manifestants dans les rues de l’ancienne colonie britannique pour protester contre une loi sur « la sauvegarde de la sécurité nationale dans la région administrative spéciale » imposée par Pékin. Depuis la rétrocession de Hongkong en 1997, c’est le pire coup porté au principe « un pays, deux systèmes », en vertu duquel est théoriquement garantie une large autonomie à la métropole jusqu’en 2047. De même que ses habitants jouissent de libertés de presse, d’expression, de manifester, entre autres, inconnues en Chine continentale.

Présentée le 22 mai, jour d’inauguration de la session plénière de l’Assemblée nationale populaire de Chine, la disposition a été adoptée par le corps législatif chinois moins d’une semaine plus tard, lors de la clôture de ce grand rendez-vous annuel du Parti communiste chinois (PCC). La loi visera à « empêcher, stopper et réprimer toute action qui menace gravement la sécurité nationale, comme le séparatisme, la subversion, la préparation ou la commission d’activités terroristes, ainsi que les activités de forces étrangères qui constituent une ingérence dans les affaires » de Hongkong.

« Je n’ai pas peur, affirme Natalie Le, habituée à battre le pavé depuis la révolution des parapluies en 2014. Avec ou sans cette loi, le PCC et le gouvernement local [pro-Pékin] chercheront toujours à nous intimider. » Son amie Dorothy Li*, 26 ans, est bien plus préoccupée. « Toute ma vie, j’ai vécu ici. Petit à petit, nos libertés s’évaporent. Bientôt, il suffira de partager un message, d’aimer un commentaire ou même de rejoindre un groupe Facebook pour être arrêté », craint-elle. Inquiets, des Hongkongais effacent les traces de ce qu’ils ont publié en ligne par le passé, explique la sinologue Séverine Arsène, installée à Hongkong. Depuis que Pékin a annoncé vouloir étendre sa loi de sécurité nationale au territoire semi-autonome, les téléchargements de VPN (réseaux privés virtuels), un outil qui permet de contourner la censure sur le web, ont explosé. Contrairement à Hongkong, la Chine interdit l’accès à Facebook, à Google, à Twitter et à de nombreux sites étrangers.

Une définition large de la loi « pourrait criminaliser l’exercice de la liberté d’expression par des moyens numériques », note la chercheuse associée au médialab de Sciences Po, spécialiste des questions numériques en Chine. Et de s’interroger : « Que met-on à l’intérieur des termes “actes subversifs” ou “actes terroristes” ? Exprimer une idée sur un blog, sur une conversation Telegram ou par un moyen téléphonique peut-il constituer un acte de séparatisme ? » Ces termes aux contours flous font écho aux qualificatifs que le régime chinois et les autorités locales utilisent pour désigner des opposants ayant participé aux manifestations pro-démocratie qui ont secoué Hongkong l’an passé pendant plusieurs mois. Nul doute que le but est de permettre aux autorités de museler plus facilement toute contestation. La loi offrira un moyen de répression supplémentaire à une police hongkongaise déjà très brutale, et, de surcroît, autorisera des agences de sécurité d’État, du renseignement et de l’armée à ouvrir officiellement des bureaux et à intervenir sur le sol de Hongkong.

« C’est le jour le plus triste de l’histoire de Hongkong », regrette amèrement Flora Ho_, une retraitée de 70 ans. Certains n’ont plus d’espoir, à l’image d’Angel Chan_, 31 ans : « Hongkong finira par devenir l’une de ces villes chinoises dociles, où les gens peuvent se faire un peu d’argent et vivre tranquillement, tant qu’ils suivent les règles et obéissent au gouvernement. » Elle et son mari veulent émigrer. Si le couple n’y parvient pas, il renoncera à avoir un enfant : « Nous pensons que Hongkong ne sera pas un bon endroit pour les futures générations. »

Mais, pour beaucoup, aucune résignation possible. « Je n’ai plus rien à perdre et je ne peux pas laisser Hongkong derrière moi », martèle Selina Ha_, 25 ans._ «Cette loi me brise le cœur mais je suis vraiment heureux de voir que les habitants de Hongkong ne reculeront pas. Nous nous battrons jusqu’à notre dernier souffle ! » renchérit Charlie Cheung, 24 ans. Certains n’étaient d’ailleurs pas si déterminés auparavant._ « Au début, je manifestais seulement pour le retrait de la loi d’extradition, relate Fung Min, 20 ans_. Mais les violences policières et la fermeté du régime chinois m’ont fait changer d’avis. »_ Aujourd’hui, il dit sérieusement réfléchir « à la possibilité d’indépendance de Hongkong ». « Le PCC n’a rien compris : plus ils nous réprimeront, plus nous serons résistants », assure Whitney Wong_, 26 ans.

Dans les rangs des contestataires, les plus jeunes tiennent souvent un discours nationaliste. « Jamais le peuple de Hongkong ne se rendra », soutient fièrement Chris Wong*, 15 ans. D’ailleurs, il assure être « préparé aussi bien psychologiquement que physiquement » en cas d’arrestation par les forces de l’ordre. « Je ne leur dirai rien », se promet-il, bravache. Depuis juin 2019, le lycéen descend souvent dans la rue : « Pour protéger ma maison, ma patrie et éviter de la laisser tomber entre les mains du PCC corrompu. » Toujours vêtu de noir de pied en cap, le visage dissimulé, précise-t-il.

L’État-parti n’a guère apprécié qu’on lui tienne tête avec tant de ténacité. Pourtant, en 2019, les débuts de la mobilisation contre le projet de loi autorisant l’extradition de suspects vers la Chine continentale semblaient timides. Devant le siège du gouvernement local, pro-Pékin, un sit-in réunissant une poignée de manifestants pro-démocratie s’était tenu en mars 2019. Mais rien ne laissait imaginer les futures marées humaines pacifiques qui inonderaient la métropole. « Les autorités locales et Pékin pensaient qu’on allait abandonner dès le début. Elles ne s’attendaient pas à ce qu’on s’accroche autant à notre liberté », commente Natalie Le. Le 9 juin 2019 marquait un tournant : 1 million de personnes déferlaient pacifiquement dans les rues de Hongkong, le plus gros rassemblement depuis la rétrocession en 1997. Trois jours plus tard, la police réprimait une manifestation dans le sang.

Intrusion dans le Parlement local, blocage de l’aéroport international, lynchage de manifestants par des triades prochinoises… Les tensions se sont ensuite amplifiées : les rassemblements pacifiques massifs se sont succédé, les violences policières sont devenues monnaie courante, et la défiance envers Pékin a atteint son paroxysme. Face à une Chine intransigeante, par l’entremise d’un gouvernement local sourd, les revendications des manifestants se sont étendues. « Cinq revendications, pas une de moins », continuent-ils de scander aujourd’hui. Parmi elles : l’abandon du projet de loi d’extradition, l’ouverture d’une enquête indépendante sur le comportement de la police, le retrait du terme « émeutiers », passible de dix ans de prison, l’amnistie des manifestants arrêtés et l’instauration d’un suffrage universel. Or seule la première (et la plus ancienne) a été entendue en septembre 2019.

Fin novembre 2019, la victoire symbolique du camp pro-démocratie aux élections locales (85 % des districts obtenus) a infligé un nouveau revers au pouvoir central. Ce fut la preuve que, malgré les violences instrumentalisées par le gouvernement local et Pékin, le mouvement bénéficiait d’un fort soutien de l’opinion publique. À la même période, le siège pendant treize jours de l’université polytechnique de Hongkong, occupée par des étudiants retranchés, a peut-être été la goutte d’eau de trop pour Pékin. « Mettre fin au chaos et restaurer l’ordre est la tâche la plus urgente à accomplir », déclarait alors le président Xi Jinping.

Le PCC a fini par perdre patience. « Pékin a senti que la situation à Hongkong en 2019 lui échappait et qu’il lui était impossible de faire voter la loi par l’actuel gouvernement hongkongais, qui l’exaspère car il se montre incapable d’éteindre le feu, analyse Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique. Contourner le vote du Parlement local, c’est l’officialisation assumée que la Chine entend remettre progressivement Hongkong au pas et n’attendra pas 2047. » Pour imposer la loi de sécurité nationale à Hongkong, Pékin a ainsi souhaité cette fois-ci passer par le Parlement chinois. « Pékin prend des libertés importantes avec le cadre constitutionnel, décrypte Sebastian Veg, directeur d’études à l’EHESS et spécialiste de l’histoire contemporaine de la Chine_. En outre, c’est l’entorse la plus significative au statut de Hongkong depuis la rétrocession et une remise en cause des engagements de la Chine en droit international. »_ Quatrième place financière mondiale, Hongkong devrait bientôt perdre ce statut si elle perd son autonomie, car les États-Unis, le Royaume-Uni (qui a annoncé son intention de faciliter l’attribution de passeports aux Hongkongais nés avant 97) et l’Australie ont beau hausser le ton, la Chine s’est dite prête à « une nouvelle guerre froide ». Selon un sondage réalisé en juin 2019 par l’université de Hongkong, seuls 11 % des Hongkongais·es se sentent chinois·es.

*Le nom a été modifié.

Monde
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