Jeunesse populaire, jeunesse irrégulière ?
Pour comprendre les enjeux de la réforme en cours de la justice des mineurs et les inquiétudes qu’elle soulève en matière de protection de l’enfance, il faut revenir à la question sociale posée au départ.
dans l’hebdo N° 1607 Acheter ce numéro
Si l’ombre du petit chenapan se fond dans la nuit des temps, il est impropre de parler de délinquance juvénile avant l’époque contemporaine. Dans le monde rural traditionnel, tenu par l’autorité et réglé par les mécanismes d’interconnaissance, la surveillance des plus jeunes se passait généralement de l’intervention de l’État. À partir du XIXe siècle, l’extraordinaire processus d’industrialisation et d’urbanisation des sociétés occidentales, allié à la puissance croissante des appareils étatiques, entraîne un contrôle toujours plus poussé et rationalisé des existences humaines. Dans les villes, les jeunes des milieux populaires, souvent issus de l’immigration rurale et/ou étrangère, sont parmi les premiers visés. Leur dangerosité apparaît liée à leurs origines, milieu et style de vie, sinon à leur tendance « innée » à la déviance. En somme, les premières incarnations de la délinquance juvénile prennent vie à travers des gamins comme Oliver Twist et Gavroche, errant dans les rues de Londres ou de Paris.
L’examen des archives confirme la dimension ségrégative du processus judiciaire, auquel échappent généralement les jeunes des classes moyennes et supérieures. L’origine étrangère ou ethnique ainsi que le genre sont par ailleurs des paramètres non négligeables. Les filles sont ainsi beaucoup plus appréhendées que les garçons pour des problèmes de mœurs. Les archives révèlent également que la probation ne saurait être considérée comme une sanction légère. À la fin des années 1950, par exemple, une adolescente jugée « indocile » par le tribunal pour enfants de Boston se voit obligée de rendre des rapports hebdomadaires. Ses résultats scolaires sont contrôlés et ses lettres peuvent être lues. Par ricochet, sa famille et ses relations sont surveillées. Prise dans un réseau de services sociaux, médicaux et éducatifs, elle doit se soumettre régulièrement à des tests, y compris gynécologiques après avoir avoué des rapports sexuels. De manière générale, la probation va constituer un outil supplémentaire aux mains des juges, qui ne sont plus contraints par la seule alternative de l’enfermement et de la liberté. Cet outil sans cesse perfectionné par les innovations technologiques, comme le bracelet électronique, est plus économique que l’incarcération. En outre, il est particulièrement pratique quand les prisons et les centres fermés sont pleins.
Le filet pénal s’étend ainsi aux XXe et XXIe siècles, quand le pouvoir tend à s’exercer de manière moins violente mais plus continue. À l’heure des angoisses renaissantes autour de la délinquance juvénile, l’histoire révèle les fantasmes des adultes, les peurs des classes dominantes et les réagencements des dispositifs de contrôle social.
Guillaume Périssol Historien, enseignant-chercheur à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse. Son livre Le Droit Chemin. Jeunes délinquants en France et aux États-Unis au milieu du XXe siècle vient de sortir aux PUF.
Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.
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