« L’hypocrisie du protocole » : la goutte de trop pour les enseignants de Vitry-sur-Seine
À Vitry-sur-Seine, 163 enseignants ont décidé de ne pas se taire pour défendre l’école républicaine. Samedi 30 mai, ils ont écrit leurs désaccords et préoccupations dans une tribune adressée à leur hiérarchie. Récit d’une action.
Publiée sur le réseau social Facebook par l’intermédiaire du Collectif Éducation 94 – S’informer, Agir en 2020!, cette initiative commune née lors d’une réunion intersyndicale (SNUipp-FSU, SNUDI-FO, CGT éducation, Sud éducation et de la FCPE) vient tirer la sonnette d’alarme sur _« un système éducatif détourné de ses fondements républicains et de ses valeurs ». En tout, ce sont 163 enseignants de Vitry-sur-Seine qui ont signé de leur nom cette tribune qui dresse le triste constat d’un constant mépris du gouvernement pour leur travail.
À l’urgence sanitaire, criante, vient s’ajouter l’urgence sociale que la crise exacerbe. Celle-là, nous la connaissons bien dans notre ville. Nous n’avons d’ailleurs pas attendu la crise sanitaire pour en prendre la mesure. Nous la combattons au quotidien dans nos classes. Alors, nous aurions aimé que cette réouverture soit réellement motivée par des considérations sociales (extrait de la Tribune)
Loin des réalités du terrain, les éléments de langage de Jean-Michel Blanquer n’ont fait que raviver l’exaspération des professeurs sur le peu de confiance et de liberté qui leur est accordé. « Nous sommes devenus de simples exécutants, on nous enlève notre capacité à réfléchir. Maintenant, c’est sois prof et tais-toi », s’insurge Katia Lagard, signataire et membre du groupe de rédaction de la tribune.
Un protocole d’une grande hypocrisie
La capacité d’accueil dépendant de l’effectif du personnel communal disponible pour le nettoyage des salles, seulement cinq classes sur dix-sept, composées de dix élèves, ont pu rouvrir dans l’école Jean-Jaurès où enseigne Katia Lagard. Des conditions qui ne permettent pas de « lutter contre les inégalités sociales » et « le décrochage scolaire » comme l’affirmait Jean-Michel Blanquer pour la reprise de l’école. « Et pour accueillir plus largement comme l’encourage le ministre, il faudrait s’asseoir sur le protocole », explique Cyrille. Conscient des différentes difficultés familiales qui imposent un retour à l’école pour nombre de leurs élèves, l’enseignant rejette surtout la duplicité du discours gouvernemental.
Des zones prioritaires à l’abandon
Dans la commune de Vitry-sur-Seine, qui compte 27 écoles classées en réseau d’éducation prioritaire (REP) sur 44, la crise sanitaire a creusé les inégalités sociales et scolaires, notamment pour les familles n’ayant pas accès à un ordinateur, ou à Internet.
Confrontés aux difficultés de la continuité pédagogique, tous les parents étaient convaincus qu’au lendemain de la crise sanitaire, le ministre de l’Éducation dégagerait plus de moyens, d’enseignants, de professeurs spécialisés et psychologues pour nos écoles, regrette Katia.
Pour le département du Val-de-Marne (94) auquel la ville de Vitry-sur-Seine est rattachée, ce sont 180 postes qui lui étaient réservés en prévision de la rentrée 2020. Au final, ce ne sont plus que 44 postes qui lui seront attribués pour la rentrée prochaine. Et ces réductions d’effectifs s’observent aussi à l’échelle nationale.
En 2017, 4.311 postes étaient créés dans le premier degré sur l’ensemble du territoire, contre 440 en 2020. Des annonces qui ont largement fait réagir les syndicats enseignants, avant que Jean-Michel Blanquer n’entreprenne un virage inattendu durant le confinement et annonce la création de 1.248 postes supplémentaires pour le premier degré. Au total, ce sont 1.688 nouveaux postes (en comptant les 440 postes déjà prévus) créés pour la rentrée 2020. Une bonne nouvelle en apparence, mais pas pour les zones prioritaires.
À la surprise des syndicats du Val-de-Marne, aucun poste supplémentaire n’a été attribué au département. Une mesure « inacceptable », dénonce sur son site le SNUipp-FSU du Val-de-Marne, qui demande en réponse un plan d’urgence « pour faire face aux conséquences du confinement ». Précisant : « La dotation doit tenir compte des besoins des élèves et des écoles, non du calendrier électoral du gouvernement. » Une nouvelle marque de mépris pour le département du Val-de-Marne avec celui de la Seine-Saint-Denis, qui ont le taux de classes en dispositif prioritaire le plus élevé.
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