Marche pour Lamine Dieng : 13 années pour aller chercher la justice

La famille, les proches et les soutiens de la famille de Lamine Dieng – mort des suites de son interpellation en 2007 – ont marché aujourd’hui une treizième fois dans Paris.

Romain Haillard  • 20 juin 2020
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Marche pour Lamine Dieng : 13 années pour aller chercher la justice
© Romain Haillard

Infatigables. Malgré treize années de lutte et de déni de la justice française, la famille de Lamine Dieng porte toujours aussi haut sa colère. Le 17 juin 2007, ce Franco-Sénégalais de 25 ans mourait des suites de son interpellation par la police, dans le 20e arrondissement de Paris. Ce samedi 20 juin, quelques milliers de personnes ont marché en hommage au défunt, dans un contexte de contestation globale des violences policières et racistes. Avec force, la voix de Ramata Dieng – sœur de Lamine – s’est élevée.

Elle répète inlassablement ces paroles depuis treize ans. Avec précision, Ramata détaille la mort de son frère, sa lente agonie. Elle décrit un acte de torture de 30 minutes et ses effets, comme si elle avait procédé elle-même à l’autopsie. Les yeux barrés par des lunettes de soleil, cette femme le fait avec la détermination d’une lutteuse de longue date, mais de temps à autre avec la fragilité des premiers jours.

Malgré la cruauté de ces actes, la justice en première instance conclut à un non-lieu en 2014. La famille conteste la décision. La cour d’appel de Paris confirme le non-lieu l’année suivante. Même refrain en 2017, mais avec un caractère définitif, la Cour de cassation enterre l’épisode français de l’affaire. Car la famille porte le dossier devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Lamine Dieng avait le droit à la vie, estiment alors les juges de la CEDH, la France l’a bafoué. En novembre 2019, la cour envoie une demande de règlement à l’amiable à l’État français. Le gouvernement l’accepte et se voit contraint d’indemniser la famille à hauteur de 145.000 euros.

La somme importe peu pour Ramata Dieng. Elle le crie ce samedi : « Avoir accepté cette demande est un aveu de culpabilité. La France n’a pas acheté notre silence. » La sœur de Lamine lance un message d’espoir :

À toutes les familles de victimes : battez-vous pour vos droits. C’est dur, c’est long, mais c’est possible !

Le fils d’un des membres illustres de ce mouvement a pris la parole. Marc Plocki, fils de Maurice Rajsfus, journaliste et historien de la répression policière, mort le 13 juin dernier, apporte son soutien. _« Mon père avait le sens de la synthèse », commence le sexagénaire, avant de le citer : « Si tu leur réponds, il y a outrage. Si tu résistes, il y a rébellion. Si tu prends la foule à témoin, il y a incitation à l’émeute. » Le fils aux cheveux désormais blancs rend hommage au travail de son père, il énumère les crimes commis par les uniformes, « Faut-il rappeler… », répète-t-il inlassablement dans une longue anaphore de dénonciation des faits d’armes de la police pour pointer ensuite : « Nous ne pouvons plus parler de brebis galeuses, quand c’est tout le système qui est en cause. » Le regard déterminé, il termine sa prise de parole dans un soupir, le poing levé.

À lire aussi >> Crimes sans châtiments

Les témoignages se succèdent, les uns après les autres, famille après famille. Toujours la même équation : un décès, un déni de justice et l’impunité de la police. Farid El Yamni, frère de Wissam, mort en 2012 à Clermont-Ferrand, discourt à son tour, pesé et mélodieux. « Gardez la tête haute, nous voulons respirer la vie », clame l’homme, le sourire dans la voix, avant de rendre à son tour hommage à Maurice Rajsfus. Il lui attribue ces mots : « Nous incarnons la beauté de ce monde, eux incarnent la fourberie. »

Puis un nom se scande, celui d’Angelo. Par cinq balles, le GIGN a tué ce membre de la communauté du voyage. « Nous n’avons jamais cru à la justice de ce pays, nous avons toujours été accusés », énonce dans un témoignage déchirant Aurélie Garand, sœur du défunt. « Ces exécutions légales doivent déranger ! Noirs, Arabes, gens du voyage, nos vies comptent », crie la femme, boucles blondes et regard dur.

Awa Gueye, sœur de Babacar Gueye, mort en 2016 sous les balles de la police à Rennes, rayonne. Son visage dégage une énergie rare, puis se durcit quand elle saisit le micro. « J’ai creusé, beaucoup », lâche-t-elle l’air épuisé, mais résolu. Sa lutte n’a jamais été un sacrifice pour elle, mais un cri pour la dignité. Tête relevée, elle hausse le ton : « Aujourd’hui, je suis fière de moi ! » Brève, Assa Traoré salue la force de la famille Dieng : « Elle nous a montré la voie. Treize ans, c’est long. Mais elle l’a fait avec honneur et dignité. »

À lire aussi >> Notre article sur les gestes d’interpellation

Pendant la marche, Ramata Dieng a lancé cet appel à plusieurs reprises : « Laissez-nous respirer. » Le collectif Vies volées, appuyé par de nombreuses familles de victimes des violences policières, a lancé une pétition pour demander l’interdiction de trois techniques d’interpellation potentiellement mortelles. La clé d’étranglement – d’abord interdite puis réautorisée par Christophe Castaner –, le plaquage ventral et le pliage. L’objectif : un million de signatures.

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