Pour Adama Traoré et George Floyd, un rassemblement historique
L’histoire retiendra ce jour où plus de 25.000 personnes se sont dressées en soutien à la famille d’Adama Traoré dans toute la France, mais aussi contre les violences policières à l’international.
Nous nous souviendrons longtemps de ces images. Assa Traoré, escortée par ses soutiens, traverse une foule gigantesque au rythme des appels à la justice et à la vérité, poings levés. « Historique », ce mot semble s’imposer comme une évidence face à l’énergie dégagée par le rassemblement devant le tribunal de Paris hier soir. À l’appel du Collectif la Vérité pour Adama, plus de 20 000 personnes se sont rassemblées à Porte de Clichy, selon un décompte de la préfecture. Le collectif appelait à se réunir en réaction à la publication le 29 mai d’une nouvelle expertise médicale dans l’affaire Adama Traoré. Celle-ci écarte la responsabilité des forces de l’ordre dans la mort du jeune homme. 2 500 personnes ont aussi répondu présent à Lille, 1 800 à Marseille et 1 200 à Lyon. Si la mobilisation en régions s’est déroulée dans le calme, de violents affrontements entre manifestants et policiers ont éclaté lors de la dispersion du rassemblement parisien.
En juillet 2016, Adama Traoré mourrait à la caserne de Persan dans le Val-d’Oise, après avoir été interpellé par la gendarmerie. En quatre années, de nombreuses expertises et contre-expertises ont alimenté principalement deux versions. Une première conclut à la mort par l’existence d’un œdème cardiogénique, et tient donc pour responsable des antécédents médicaux dans la mort du jeune homme de 24 ans. Cette hypothèse disculpe les gendarmes, contrairement à celle soutenue par la famille de la victime. D’autres examens médicaux privilégient la mort par asphyxie positionnelle, du fait de l’usage du plaquage ventral – les gendarmes seraient responsables.
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Une contre-expertise indépendante accable les gendarmes
À l’image de cette affaire, les rebondissements se sont succédé lors de la mobilisation parisienne. Les soutiens continuaient encore d’affluer vers le parvis du tribunal déjà noir de monde quand les résultats d’une nouvelle contre-expertise contredisaient la précédente, publiée la semaine dernière. Demandée par les parties civiles, réalisée par un professeur de médecine indépendant, elle admet la formation d’un œdème cardiogénique, mais provoquée par le geste d’immobilisation des gendarmes. Quelques heures avant le début de la mobilisation, la préfecture de Paris interdisait par arrêté cette manifestation, prohibée de fait. L’état d’urgence sanitaire proscrit tous rassemblements publics de plus de dix personnes. Concomitamment, des policiers se rendaient au domicile d’Assa Traoré en son absence – sans que l’on connaisse le motif de leur visite.
Nous nous souviendrons aussi des images aériennes prises au-dessus de la mobilisation parisienne. La foule impressionne certes, mais la composition de cette marée humaine surprend davantage. Devant un lieu si symbolique, au pied d’un édifice monumental critiqué parfois pour sa démesure, une écrasante majorité de jeunes des quartiers populaires ont convergé. Une moyenne d’âge dépassant difficilement la trentaine, de très nombreuses femmes, des étudiants, des jeunes plus aisés…
Barricades enflammées et pluie de lacrymo
D’historique, la mobilisation la tient aussi de sa portée internationaliste. Discours, pancartes, tags… les messages s’adressaient aussi à George Floyd, afro-américain tragiquement mort à Minneapolis des suites de son interpellation par la police. Après une conférence de presse, Assa Traoré a appelé la foule à se disperser pour poser un genou à terre, un geste popularisé aux États-Unis où il est devenu un symbole de l’opposition aux violences policières racistes.
Après avoir réalisé ce geste, des manifestants ont convergé pacifiquement vers les forces de l’ordre postés aux abords du cortège. Rapidement, des affrontements ont débuté et ont continué jusqu’à tard dans la nuit. Des barricades enflammées de trottinettes et de vélos en libre-service ont clairsemés l’avenue de Clichy tandis que les gaz lacrymogènes ont empoisonné l’air. Du côté de Clichy, un poste de police municipal a été dégradé. 18 personnes ont été interpellées selon la préfecture – sans davantage préciser pour quels motifs, 17 d’entre elles ont placées en garde à vue. Une colère a littéralement surgit hier, mais elle ne semble pas encore avoir été entendue.
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