Un silence coupable et… complice

Les chaînes d’info, d’ordinaire si promptes à épiloguer sur les ennuis judiciaires des politiques, se sont abstenues d’évoquer les condamnations prononcées mardi dans l’affaire du financement des campagnes électorales du Front national.

Michel Soudais  • 19 juin 2020
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Un silence coupable et… complice
© Photo : Capture d'écran de BFMTV 16 juin.

Les affaires judiciaires touchant des politiques ne bénéficient pas tous de la même publicité. Quand certains ont droit à un battage médiatique maximum, parfois disproportionné en regard des faits qui leur sont reprochés, d’autres bénéficient d’une pudibonde retenue. Une illustration de ce deux poids deux mesures nous a été donnée à voir cette semaine. Et elle est éclatante.

Mardi 16 juin, le tribunal correctionnel de Paris rendait son jugement dans l’affaire du financement des campagnes électorales du FN en 2012, 2014 et 2015 (présidentielle, législatives, municipales, européennes, départementales et régionales). Initialement prévu le 24 avril, le délibéré de ce long procès – il s’est tenu du 6 au 29 novembre – avait été reporté en raison de la crise sanitaire. Les juges ont condamné l’ex-FN, renommé Rassemblement national (RN) en 2018, deux piliers de son bureau exécutif, des amis de Marine Le Pen et le micro-parti de cette dernière.

Pour le parti d’extrême droite, le coup est rude et contredit l’image de chevalier blanc qu’il veut donner. L’information n’a pourtant pas retenu l’attention des chaînes d’info. Mieux, ce jour-là elles ont médiatisé et commenté complaisamment le déplacement de la présidente du RN à Dijon, présenté sur leurs antennes comme le lancement de sa campagne présidentielle. Avant de consacrer le lendemain de beaux temps d’antenne à son déplacement sur l’île de Sein.

Pas un mot non plus dans le JT de TF1, une petite mention dans celui de France 2, et tout juste une brève dans Le Parisien, le quotidien populaire de Bernard Arnault, calquée sur l’argumentation du communiqué du RN relatif à ce jugement : « La justice a relaxé l’ex-Front national des accusations d’escroquerie dans le financement des législatives de 2012 et l’a condamné uniquement à 18.700 € [en réalité 18.750 €, soit le maximum prévu par la loi, NDLR] dans un sous-volet de cette affaire éloignant la menace de dommages et intérêts astronomiques (11,6 millions d’euros réclamés par l’État) qui aurait plombé ses finances déjà exsangues. Le tribunal correctionnel de Paris a estimé hier ne pas avoir trouvé de “manœuvres frauduleuses” ni de preuves de surfacturations. »

Un jugement sévère

S’il n’est pas interdit de penser que la main des juges a tremblé à l’idée de pousser à la banqueroute un parti politique crédité régulièrement de plus de 20 % des suffrages, l’ex-FN a néanmoins été reconnu coupable d’abus de biens sociaux pour avoir profité d’un crédit sans intérêt de plusieurs millions d’euros et de l’emploi fictif de deux élus actuels, l’eurodéputé Nicolas Bay et le maire de Fréjus, David Rachline.

Le tribunal correctionnel de Paris a également condamné l’association Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, à une amende de 300.000 euros dont la moitié avec sursis. Sont également condamnés dans ce procès deux dirigeants du parti de Marine Le Pen, son prestataire (et ami) Frédéric Chatillon, la compagne de ce dernier, ainsi que l’expert-comptable attitré des campagnes du FN et un trésorier de Jeanne. En voici le détail :

  • Wallerand de Saint-Just, avocat et président du groupe RN au conseiller régional d’Ile-de-France, était poursuivi en tant que trésorier du FN. Cette dernière fonction lui vaut d’être condamné pour abus de biens sociaux à une peine de six mois de prison avec sursis.
  • Jean-François Jalkh, député européen, ex-vice-président du FN et membre du bureau exécutif du RN, était secrétaire général du micro-parti Jeanne. Pour cette fonction, il écope de deux ans de prison dont 18 mois avec sursis et cinq ans d’inéligibilité en raison de son « rôle central » dans « la mise en place de prêts fictifs » et dans « la conception du système visant à tromper l’État français », a justifié la présidente du tribunal.
  • Frédéric Chatillon, ancien dirigeant du syndicat étudiant d’extrême droite GUD et ami personnel de Marine Le Pen, était le patron de Riwal, prestataire unique du FN pour sa propagande électorale et en quelque sorte son argentier. Condamné pour escroquerie et abus de bien social, il s’est vu infligé une peine de trente mois de prison dont dix ferme, « seule sanction adéquate au regard de la gravité et de la multiplicité des infractions commises », précise le jugement, et 250.000 euros d’amende.
  • Sighild Blanc, sa compagne, fort bien rémunérée comme prestataire graphiste de Riwal, est condamnée à douze mois de prison avec sursis, 100.000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction de gestion, pour abus de biens sociaux et blanchiment – elle avait mis au point avec Frédéric Chatillon un circuit d’évasion fiscale.
  • Nicolas Crochet, ex-gudard également, expert-comptable attitré du FN et un temps commissaire aux comptes de Jeanne, écope d’une condamnation de deux ans de prison avec sursis et 40.000 euros d’amende, assortie d’une interdiction d’exercer son activité professionnelle pendant trois ans, pour complicité d’escroquerie et complicité de blanchiment d’abus de biens sociaux.
  • Olivier Duguet, ex-gudard et trésorier de Jeanne, est condamné à un an de prison avec sursis, deux ans de sursis probatoire et cinq ans d’interdiction de gestion, pour escroquerie et tentative d’escroquerie. Cet honnête homme avait déjà été condamné en juin 2012 pour escroquerie au préjudice de Pôle Emploi – le préjudice s’élevait à plus en 100.000 euros.

S’ajoutent à ces condamnations des dommages et intérêts que les prévenus doivent solidairement verser à l’État :

  • 359.671 euros à payer par Jean-François Jalkh, Frédéric Chatillon, Nicolas Crochet et Olivier Duguet au titre des élections législatives de 2012.
  • 513.880 euros à payer par Jean-François Jalkh et l’association Jeanne au titre des élections départementales de 2015.

Le total des amendes et des dommages et intérêts s’élève à 1.392.301 euros.

C’est la première fois que le parti qui s’affichait naguère « mains propres, tête haute » est condamné pour des irrégularités financières. Cela aurait mérité la publicité qui convient, sauf à laisser croire que le parti lepéniste serait le seul parti honnête. Mais sans doute est-ce l’objectif recherché par ceux qui rêvent d’une redite du duel Macron-Le Pen.


Ajout vendredi 19 juin à 19h05 : Le parquet de Paris a annoncé à l’AFP avoir fait appel ce jour du jugement du tribunal correctionnel qui a relaxé mardi l’ex-Front national d’accusations d’escroquerie dans le financement des législatives de 2012. Cet appel « porte sur l’ensemble des prévenus ».

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