À Marseille, le théâtre renaît par l’atelier

Avec son programme estival « Rêvons au théâtre ! », La Criée ouvre ses portes à la jeunesse marseillaise, abordant tous les métiers de la scène.

Anaïs Heluin  • 22 juillet 2020 abonnés
À Marseille, le théâtre renaît par l’atelier
Les équipes mettent la même énergie à accueillir les petits groupes que les huit cents personnes en temps normal.
© Clément Vial

Les théâtres ont beau avoir suspendu leur programmation jusqu’à la rentrée, nombreux sont ceux qui ont repris vie depuis le déconfinement. Dans le respect de mesures sanitaires mises en place par les équipes – il n’existe aujourd’hui aucun protocole officiel pour les lieux culturels –, chacun invente sa manière de renouer des liens avec les artistes et le public.

Certains portent la création de formes artistiques Covid–compatibles, à jouer sur des balcons, des toits ou devant des jauges limitées. Beaucoup ouvrent aux curieux des morceaux de répétition des compagnies en résidence. La Criée, à Marseille, opte pour une autre manière de -dévoiler à ses visiteurs une partie de ses coulisses et des secrets du spectacle vivant. Mis en place pendant le confinement par sa directrice, Macha Makeïeff, et son équipe, le programme d’ateliers « Rêvons au théâtre ! » offre à la jeunesse marseillaise diverses approches des métiers de la scène, des plus visibles aux plus méconnus.

En attendant deux groupes de dix personnes – des élèves de 4e du collège Vieux-Port et des membres de l’association Because U. Art, implantée dans le quartier de Noailles (1) –, Laura Abécassis, chargée des relations avec les publics, exprime son enthousiasme à reprendre ainsi son poste. «Jusque-là, ma tâche consistait surtout à aller vers les jeunes et les habitants des -quartiers -défavorisés. Les ateliers et spectacles que La Criée organisait pour ces personnes avaient lieu dans les écoles, dans les locaux d’associations ou autres. Avec “Rêvons au théâtre !”, nous faisons venir à nous les personnes concernées. Ce qui change complètement le rapport.»

Julie Nancy-Ayache, responsable des relations publiques, ainsi que la directrice adjointe des productions, Hélène Courault, dont le travail habituellement réalisé dans l’ombre est pour une fois placé sur le devant de la scène, partagent cet avis. Elles voient également dans ces ouvertures estivales l’occasion de renforcer les liens entre elles ainsi qu’avec le reste de l’équipe du théâtre, qui est vaste.

Pour l’organisation des dix ateliers proposés à des associations et des établissements scolaires, l’ensemble du personnel de La Criée est mobilisé. Ouvreurs compris, qui mettent la même énergie à accueillir les petits groupes que les huit cent personnes qui peuvent remplir la grande salle du théâtre en temps plus normaux. Les techniciens sont également de la partie, non seulement pour éclairer et sonoriser les ateliers portés par des artistes aux spécialités diverses, mais aussi pour leur propre atelier, « Le plateau et ses métiers ». Un temps d’échange entre l’équipe technique et les participants, autour d’un spectacle visuel créé pour l’occasion.

Le jour de notre venue, ce sont les jeunes du collège Vieux-Port qui, guidés par Yves Giacalone, directeur technique du lieu, ont pu passer de la salle au plateau pour découvrir les petits et grands « trucs » des régisseurs. Un moment d’autant plus émouvant qu’il est pour tous une première. Première fois au théâtre pour les collégiens ; première pour l’équipe technique, dont la place est d’ordinaire en régie ou au plateau, à l’abri des regards.

Pratique théâtrale, introduction au conte, ateliers d’écriture ou de philosophie, initiation à l’écriture de scénarios et à la réalisation de films courts… Menés par des artistes professionnels avec qui La Criée collabore de longue date, les dix ateliers de « Rêvons au théâtre ! » permettent des expériences singulières, avec la même exigence. « La Criée est un lieu d’excellence, non d’animation. Si “Rêvons au théâtre !” est pour nous expérimental à bien des titres, il est important de se baser sur la compétence vérifiée d’artistes, aussi bien en matière de création que de transmission », souligne Macha Makeïeff, qui prépare une saison 2021-2022 en dialogue étroit avec son territoire. Avec une attention spéciale envers ses parties les plus éloignées des institutions culturelles.

Les quelques ateliers auxquels nous avons pu assister confirment la pertinence de ce parti pris. En particulier ceux du conteur Lamine Diagne et de la metteuse en scène et comédienne Julie Villeneuve, qui abordent tous deux la récente période de confinement.

Avec de jeunes adultes de l’École de la 2e chance (E2C), sortis du système scolaire sans qualification, Julie Villeneuve obtient très vite des résultats étonnants. Habituée à diriger des ateliers de théâtre et d’écriture dans des lieux divers (hôpitaux, collèges, maisons de retraite, centres carcéraux…), elle utilise pour son atelier « Autour du point de bascule » ses techniques fondées sur l’improvisation. Après quelques exercices simples, où les participants s’essaient à l’expression d’émotions positives puis négatives, les voilà partis dans le récit de leur confinement. Oumaima a l’aisance d’une comédienne de one-woman-show. Mohamed se prête au jeu avec un humour qui séduit tous ses camarades.

Il est évident que la réussite de l’atelier, avec ses moments de grâce, doit autant au travail et à l’écoute remarquables de l’intervenante qu’à ceux de l’E2C. Même chose pour l’atelier de Lamine Diagne, « La Prophétie des enfants », destiné à des enfants de Because U. Art. « Avec “Rêvons au théâtre !”, il est plus évident que jamais qu’un théâtre ne fonctionne pas seul, qu’il a besoin du savoir-faire de nombreuses personnes qui travaillent sur le territoire », dit Hélène Courault. Une évidence à retenir.

(1) Quartier dévaforisé, qui comprend la rue d’Aubagne.

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