André Cicolella : La crise sanitaire, 4e crise écologique
Face aux futures pandémies, André Cicolella réclame une politique de prévention des maladies environnementales.
dans l’hebdo N° 1613-1615 Acheter ce numéro
L’épidémie de Covid-19 aura eu le mérite de faire émerger la notion de crise sanitaire. Cette crise aura montré l’impasse d’un système de santé s’il n’est qu’un système de soins sans politique de santé environnementale pour agir sur les causes des maladies.
Mais de quelle crise sanitaire parle-t-on ? Une première lecture basique fait le focus sur le stock de masques et de blouses. Si le bilan en restait là, la société française ne se préparerait pas à faire face à l’émergence d’autres pandémies, cette probabilité n’étant plus contestée.
En 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiait un rapport sur les maladies infectieuses émergentes, qui requièrent des efforts urgents de recherche et de développement. Le rapport évoquait la « maladie X », ainsi présentée par Peter Daszak, un des auteurs du rapport, dans une interview au New York Times en mars dernier : « Cette maladie X résulterait probablement d’un virus d’origine animale et émergerait quelque part sur la planète où le développement économique rapproche les humains et la faune. Elle se propagerait rapidement et silencieusement, exploitant les réseaux de voyage et de commerce humains, atteindrait plusieurs pays et serait difficile à contenir. » En 2008, Nature avançait dans un article le chiffre de 335 maladies infectieuses émergentes depuis les années 1940, dont 60 % de zoonoses, 72 % provenant de la faune sauvage, et montrait que l’augmentation était régulière d’une décennie à l’autre.
Le bilan de cette crise est donc impérieux pour préparer la résilience des sociétés humaines face aux menaces à venir. C’est l’analyse du directeur de l’OMS Europe, dans un article publié le 8 mai dans The Lancet : « La pandémie de Covid-19 a eu de nombreux effets sur la santé, révélant la vulnérabilité particulière de ceux qui souffrent d’affections sous-jacentes. La prévention et le contrôle de l’obésité et des maladies non transmissibles sont essentiels pour se préparer à cette menace et aux menaces futures pour la santé publique. »
Les cas d’obésité, d’hypertention, de diabète augmentent régulièrement.
Pour certains patients, l’âge a très vite été mis en avant comme unique cause de vulnérabilité, mais la caractéristique commune à toutes les victimes, quel que soit leur âge, est la présence de comorbidités : obésité, hypertension, diabète, maladies cardiovasculaires et respiratoires. Or le nombre de ces maladies chroniques progresse régulièrement en France. Entre 2003 et 2017, le nombre cumulé de maladies cardiovasculaires et de diabète est passé de 3 millions à 6 millions. On peut donc en déduire que la crise du Covid-19 aurait fait grosso modo moitié moins de victimes il y a quatorze ans. Qu’en sera-t-il si l’épidémie continue ? Selon le dernier rapport de la Caisse nationale d’assurance maladie, publié en juillet, le nombre de malades chroniques passera de 20 millions en 2017 à 23 millions en 2023. Sur dix ans, le surcoût de cette épidémie s’élève à 120 milliards d’euros. Il est donc plus que temps d’agir, pour des raisons tant sanitaires qu’économiques. C’est le système solidaire d’assurance maladie qui est lui-même en danger.
La France a signé les deux déclarations adoptées par l’Assemblée générale de l’ONU sur l’épidémie de maladies chroniques, en septembre 2011 (« Principal défi pour le développement durable en ce début de XXIe siècle ») et en septembre 2018 (« D’ici 2030 : diminution de la mortalité prématurée par maladies chroniques de 30 % et arrêt de la progression de l’obésité et du diabète »), mais sans leur donner une suite concrète.
L’épidémie du Covid-19 est la conséquence d’une politique de gestion du système de soins purement financière, de la mondialisation qui favorise la circulation des virus, de la déforestation qui les met en contact avec les humains, mais c’est aussi la conséquence de la faiblesse de la politique de santé environnementale. Les grandes causes sont connues : alimentation ultra-transformée, sédentarité, pollution de l’air et contamination chimique, mais aussi plus largement urbanisme pathogène qui a produit les autoroutes urbaines et une ville minérale, pauvre en espaces verts. Cette situation risque de s’aggraver avec la crise climatique. Lutter contre les passoires thermiques sans s’attaquer à la pollution intérieure aggravera le coût sanitaire. Il est temps de considérer la crise sanitaire comme la quatrième crise écologique au même titre que celles touchant au climat, à la biodiversité et à l’épuisement des ressources naturelles.
André Cicolella Président du Réseau environnement santé.
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