Beauduc : La plage du bout du monde
La photographe Alice Beuvelet a immortalisé l’atmosphère de liberté qui flotte sur l’une des dernières plages sauvages de France. Avec ses paysages et ses habitués.
dans l’hebdo N° 1613-1615 Acheter ce numéro
Un paysage entre terre et mer, sur une centaine d’hectares, aux teintes rosées, mâtinées de bleu intense, pêle-mêlées à un blanc de sel et au sable jaune. La plage de Beauduc, en Camargue, sur la commune d’Arles, demeure l’une des dernières plages sauvages en France. Située à 11 kilomètres de Salin-de-Giraud (Bouches-du-Rhône), c’est une vaste étendue de sable bordée d’étangs, où il ne fait jamais froid. Le site se mérite, aux confins d’un chemin caillouteux imposé par la digue à la mer. Beauduc a longtemps été un lieu de zone libre, de camping sauvage. Caravanes et toiles de tente ont habillé le paysage dès les années 1970. Les constructions populaires ont gagné du terrain, jusqu’à compter plus de quatre cents baraques, de tôles et de bois, de bric et de broc. Sans eau ni électricité.
On respire, on s’encanaille, pour une petite semaine, un mois ou plus. Pêcheurs et menu peuple cohabitent. Deux cahutes dressées adroitement font office de restaurants : Chez Juju et Chez Marc et Mireille. On y savoure tellines, palourdes et daurades grillées dans un joyeux chaos, en connivence avec la nature. Durant plusieurs décennies, Beauduc s’est fait laboratoire social du vivre-ensemble, le théâtre d’une occupation populaire et saisonnière, en transe de goguette – sans titre de propriété.
À l’orée des années 2000, les enjeux environnementaux s’érigent contre ce territoire animé en toute liberté, déployé dans le refus des normes et le sens de l’entraide. Les réglementations se durcissent. En 2004, l’État entend faire sérieusement le ménage et détruit les premiers cabanons, construits illégalement, notamment les deux caboulots historiques. En 2008, les étangs exploités pour le sel par la Compagnie du Midi sont cédés au Conservatoire du littoral. Depuis les années 2010, de nouvelles conditions d’accès à la plage ont été imposées. Les véhicules de plus de 2,1 mètres de large ne peuvent plus accéder au site. Quads et moto-cross sont interdits. Les caravanes sont maintenues à trois cents mètres du rivage. Les camping-cars et la plupart des cabanons ont disparu. Seules les caravanes des membres des associations historiques d’usagers ont été autorisées par le Conservatoire du littoral et le parc de Camargue à pénétrer sur le site en début de saison. Les véhicules qui dépassent le gabarit ont l’obligation de s’arrêter au niveau d’un parking. Mais on n’est jamais loin de la mer. De la magie des lieux.
Une magie qui opère dans le regard d’Alice Beuvelet, bouleversée d’émotion quand elle découvre cette vaste étendue de sable et ses locataires, en 2009. « Je ne m’attendais pas à voir une plage pareille à côté d’une grande ville, confie-t-elle, sans la moindre échoppe, sans boutique, sans aménagement. Je pensais que le paysage me touchait d’abord ; en réalité, ce sont les gens, sans profil social marqué, avec leur impression d’avoir une paix royale, qu’on pouvait vivre comme on en avait envie, sans le regard lourd des autres que l’on croise en ville. C’est un espace de liberté très fort. » Elle y revient le même été, plante sa tente pendant une dizaine de jours pour saisir trognes et paysages, composer avec la lumière. Ce sera son premier travail documentaire photographique, La Plage du bout du monde (1). Fixer cette population bigarrée, des familles entières et des fratries. En toute complicité avec elles, pas peu fières parfois de prendre la pose, d’adhérer à une mise en scène. Des images trempées de couleurs éclatantes, transpirant la bonne humeur. Ça ressemblerait même au bonheur.
(1) Pour voir la série complète et les autres travaux photographiques d’Alice Beuvelet : alicebeuvelet.com
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