Coronavirus : Une urgence humanitaire mondiale

La pandémie vient décupler l’ampleur d’une crise alimentaire qui s’annonçait déjà historique. Mais le pire pourrait être à venir.

Patrick Piro  • 8 juillet 2020 abonné·es
Coronavirus : Une urgence humanitaire mondiale
Des échoppes fermées en raison du coronavirus à Guwahati, en Inde.
© David Talukdar / NurPhoto / NurPhoto via AFP

T ant que nous n’aurons pas de vaccin, la nourriture restera le meilleur remède contre le chaos », résumait, fin juin, David Beasley. Le directeur du Programme alimentaire mondial (PAM) lançait un appel aux dons de 4,9 milliards de dollars face à la montée sans précédent des besoins dans le monde, dans le but d’organiser l’intervention humanitaire la plus importante de l’histoire de l’organisation onusienne : alimenter 138 millions de personnes dans le monde, un bond énorme de 40 % par rapport à 2019, qui battait déjà un record.

Et l’alarme a sonné dès le début de l’année, avant même le déploiement de la crise du coronavirus. Une violente sécheresse en Amérique centrale, la pire invasion de criquets pèlerins depuis soixante-dix ans dans la Corne de l’Afrique, etc. En avril, David Beasley prédisait une « pandémie de la faim […]_, la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale »_. En 2019, le PAM évaluait à 135 millions le nombre de personnes souffrant d’une faim « aiguë », voire de famine. Elles pourraient être 183 millions de plus d’ici à la fin de l’année, estimait l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), mi-juin, à cause de la crise sanitaire, qui amplifie tous les facteurs qui concourent à fragiliser l’accès à l’alimentation. L’essentiel du problème se concentre sur une dizaine de pays – Afghanistan, Éthiopie, Haïti, Nigeria, République démocratique du Congo (RDC), Soudan, Soudan du Sud, Syrie, Venezuela et Yémen. Et la majeure partie des personnes en état de crise nutritionnelle se comptaient, avant la pandémie de Covid-19, dans des zones touchées par des conflits (77 millions), le dérèglement climatique (34 millions) ou une crise économique (24 millions).

L’impact sanitaire de la pandémie (maladie, décès) sera décuplé par les conséquences d’une désorganisation généralisée de la vie économique. Le confinement, le contrôle aux frontières et la fermeture des marchés ont tari par endroits (Amérique latine, Afrique subsaharienne) les approvisionnements alimentaires mais aussi la commercialisation de denrées, laissant des dizaines de milliers de paysans sans ressources. Les prix ont bondi. Sucre, huile, riz, maïs, manioc… En avril, on constatait au Mali, au Pérou, au Mexique, en RDC, au Burkina Faso, etc., des hausses de 50 % à 100 % à l’achat.

Mais le plus violent est à venir. La crise économique prépare une recrudescence dramatique du chômage. L’Organisation internationale du travail (OIT) souligne la vulnérabilité de l’économie informelle. Plus de 90 % de la main-d’œuvre mondiale vit dans des pays où les sites d’emploi ont été fermés. Les pertes d’heures de travail, au cours des trois derniers mois, équivalent à 305 millions d’emplois à temps plein, estime l’OIT. Par ailleurs, la récession économique aux États-Unis ou dans le Golfe, employeurs de main-d’œuvre issue de pays pauvres, a tari les envois de fonds vers les familles restées au pays. Ces flux contribuent à plus du tiers du PIB de Haïti, à près de 30 % pour le Tadjikistan, dont la Russie absorbe les trois quarts de la main-d’œuvre migrante.

Et les pays qui dépendent fortement des échanges mondiaux sont encore plus exposés. Le Venezuela, l’Angola ou le Nigeria, qui vivent presque exclusivement des exportations d’hydrocarbures, subissent déjà un très violent contrecoup de l’arrêt du transport aérien, du recul de l’industrie, etc. C’est aussi le cas de Haïti, de l’Afghanistan, du Sénégal ou du Liban, pays qui importent une grande part de leur alimentation.

Dans les zones en guerre, enfin, où le système économique et sanitaire s’est effondré, l’accès à la nourriture se complique désormais à l’extrême. En Syrie, 9,3 millions de personnes souffrent de la faim à un niveau « aigu », 40 % de plus depuis la crise du Covid-19. Constat du PAM : une augmentation de 1 % de cette dernière catégorie suscite une hausse de près de 2 % du nombre des personnes réfugiées. Au regard des projections, « l’ampleur du mouvement migratoire mondial est à peine imaginable », s’alarme Arif Husain, haut fonctionnaire au PAM (1), si l’on n’entreprend aucune action collective mondiale d’envergure, humanitaire dans l’immédiat, et politique à terme. Car les effets de la crise du Covid-19 pourraient se prolonger durant des années, accentuant une courbe de la faim repartie à la hausse depuis 2015 après une décennie de baisse continue.

(1) Tribune dans le New York Times, 12 juin 2020.

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