#Déboulonnable Gallieni ? : « Détruire les éléments locaux non utilisables »
Politis questionne des « grandes » figures de l’histoire liées à la colonisation. Aujourd’hui, le général Gallieni de la 3è République qui a « pacifié » Madagascar au prix d’une politique brutale et raciale.
L’édification de la légende Gallieni atteint un point culminant en septembre 1914. Alors gouverneur militaire de Paris, il est à l’initiative de la célèbre opération des « taxis de la Marne », réquisitionnés pour acheminer des renforts dans la bataille de l’Ourcq, victoire décisive pour stopper l’avancée allemande. Le général Joseph Gallieni, décédé en 1916, sera élevé à titre posthume à la dignité de maréchal de France.
Aussi André Lebon, ministre des Colonies, voit en lui l’homme providentiel qui peut éviter à l’empire la perte de Madagascar. Résistance à l’occupant, guérillas, puis insurrection « Menalamba » : le protectorat que la France a imposé sur la « Grande île » tourne au fiasco en dépit de l’apparente collaboration de la reine Ranavalona III, et la présence d’un corps expéditionnaire de 15 000 soldats qui a entrepris l’invasion de l’île en 1895.
Gallieni est totalement dévoué à l’idéal républicain du moment, hégémonique à Paris, exécutif et législatif compris : soumettre, pacifier, mettre en production les populations des nouveaux territoires au profit de l’empire. « Vous apprendrez de nous à aimer la France, votre nouvelle patrie, et à devenir d’habiles ouvriers et de bons cultivateurs » écrit le militaire, empreint d’une mission civilisatrice qui l’habite tout entier. Gallieni hérite des pleins pouvoirs civils et militaires. Il saura en abuser constamment, conscient d’être dépositaire de la confiance aveugle des politiques de l’époque, qui lui accorderont à son retour leur quitus pour son efficacité. « Je ne me préoccupe, ni des textes, ni des règlements, écrira-t-il, je vais droit au but général : ramener la paix ; franciser l’île et donner le plus grand appui possible à la colonisation française »…
Trois semaines après son arrivée, c’est le coup de force contre la monarchie malgache. Il fait arrêter le ministre de l’Intérieur et un prince, opportunément accusés de rébellion. Condamnés à mort puis exécutés, ce qu’aurait demandé Gallieni afin de susciter une « forte impression sur les indigènes ». Quatre mois plus tard, la reine est exilée, et la monarchie abolie.
Dépositaire de l’autorité totale, le gouverneur général entreprend de la nettoyer des foyers d’insurrection. Il y déploie la stratégie politico-militaire mise au point au Tonkin, appuyée sur des préceptes utilitaristes clairement raciaux. « Toute agglomération d’individus, race, peuple, tribu ou famille, représente une somme d’intérêts communs ou opposés. S’il y a des mœurs et des coutumes à respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu’il faut savoir démêler et utiliser à notre profit, en les opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les secondes. » Cette « politique des races » sera théorisée par Gallieni.
Neuf années de campagne malgache se solderont par des dizaines de milliers de morts, y compris par exécutions sommaires et massacres, comme celui d’Ambiky (5 000 morts, hommes, femmes et enfants) perpétré par un subordonné de Gallieni. Il en déplorera la fougue (sans sanction) et se dédouanera au nom de « l’impossibilité » d’échanger des ordres à la vitesse requise. Même argument d’efficacité pour justifier son coup d’État sur l’île, de retour à Paris, certain de la bienveillance des politiques : il a pacifié la colonie.
Et l’a mise en ordre de production. Son prédécesseur le général Laroche avait aboli l’esclavage, une pratique locale. Le nouveau maître de l’île avait alors immédiatement rassuré les propriétaires : c’est un bout de papier, poursuivez comme avant. Pas question de saper l’économie. D’ailleurs Gallieni instaurera la corvée obligatoire pour les adultes pour des travaux divers (chemin de fer, écoles, etc.). En 1900, des colons français s’alarment auprès du gouverneur général : « Vous êtes au courant de la mortalité effrayante qui frappe les prestataires employés à la construction de la route de Tananarive-Tamatave (…) C’est avec une fréquence vraiment inquiétante que se multiplient des actes d’arbitraire (…) L’indigène est arrêté, emprisonné pendant des mois sans jugement, sans interrogatoire ; et cela avec d’autant moins de ménagements que le détenu est toujours utilisé comme main d’œuvre économique. »
Le nom de Gallieni reste largement répandu dans l’espace public. Il baptise une bonne vingtaine de voies (dont de nombreuses « avenues »), mais aussi une école maternelle (Nogent-sur-Marne), un lycée (Toulouse), des statues (Paris, Saint-Gaudens) une station de métro (Bagnolet), un pont (Lyon), un quartier et plusieurs équipements à Fréjus d’où est originaire son épouse, un lycée militaire (La Flèche), des casernes (Abidjan et…Tamatave, à Madagascar !) et même une péninsule (Kerguelen).
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