Frédéric Pommier au bal de la vie

L’écrivain et journaliste de France Inter publie un recueil de nouvelles inspirées de ses chroniques à la radio. Histoires tristes, légères ou insolites.

Jean-Claude Renard  • 22 juillet 2020 abonné·es
Frédéric Pommier au bal de la vie
© ERIC FEFERBERG/AFP

David Goodall, Bernadette, les morts de la rue… On ne sait pas qui c’est. Ou presque pas. David Goodall est cet Australien de 104 ans qui, en mai 2018, à Bâle, dégustait son dernier cheese-cake. Auparavant, il avait avalé son ultime fish and chips. Ses plats préférés. Il a choisi de mourir en Suisse.

Goodall a été un expert en botanique et en écologie. S’il est venu travailler à son bureau jusqu’à ses 102 ans, sa santé avait commencé à décliner dix années plus tôt. Jusqu’à perdre le goût de vivre, refusant la déchéance, d’en faire porter le poids à sa famille. À cela près que le suicide assisté est interdit en Australie. S’il choisit la date de sa mort, il entend aussi la -médiatiser, espérant faire changer les mentalités. Et c’est devant un parterre d’une cinquantaine de journalistes qu’il tient sa dernière conférence de presse. Le lendemain, il s’éteint sereinement sur le dernier mouvement de la neuvième symphonie de Beethoven, L’Hymne à la joie.

Bernadette, employée administrative, est décédée beaucoup plus jeune, sans l’avoir choisi, elle, à 43 ans. Percutée par une voiture, projetée contre un mur avant que le chauffard ne s’acharne sur elle, lui roulant dessus à trois reprises. Placé sous contrôle judiciaire, l’homme n’est autre que son mari, extrêmement jaloux, qui ne supportait pas l’idée d’une séparation. Il avait déjà essayé de l’étrangler. En juillet 2019, Bernadette est la 81e femme, cette année-là, abattue par son compagnon, son mari ou un ex. Il y en aura beaucoup d’autres.

Jean-Pierre se faisait appeler Trésor. Il est mort à Saint-Denis, le 28 janvier 2019, à 60 ans. Fredo, dit Papillon, est mort à Strasbourg, à 40 ans. Paul, sous le surnom de Chico, est mort sous le soleil de Perpignan, à 49 ans. Des noms égrenés parmi -plusieurs centaines d’autres, sous le kiosque d’un jardin public à Paris, par le collectif Les Morts de la rue, qui depuis 2002 compte bien rendre visibles ces invisibles, qu’on appelle SDF. Il y a aussi les femmes. Agnieszka, 44 ans, à Bobigny, Maëlle, 33 ans, à Rennes, ou encore Giselle, à Saint-Brieuc, 28 ans. En 2018, le collectif recensait 516 hommes et femmes. La réalité est sûrement plus âpre encore.

Ce sont là quelques récits, à lire comme des nouvelles, rassemblées dans un recueil de Frédéric Pommier, écrivain, journaliste à France Inter, auteur de la fameuse revue de presse du week-end et de cette chronique talentueuse du vendredi matin, « Le quart d’heure de célébrité », reprenant la formule d’Andy Warhol. Un recueil de récits inédits mêlés de chroniques entièrement reprises. Autant de portraits, de trajectoires (une soixantaine).

Mais qu’on ne se méprenne pas. Ces nouvelles ne sont pas un long râle plaintif de nos défunts, un défilé de funérailles. On y croise une histoire de bambin au prénom trop bretonnant qui heurte l’administration et la justice, le coq Maurice, objet d’un conflit de voisinage, un octogénaire en transe de coup de foudre, un homme qui murmure à l’oreille des arbres, suspendant un hamac en haut d’un platane, face au ministère de la Transition écologique… Des anonymes, des gens ordinaires soudain devenus célèbres, propulsés sous le feu des médias, parfois malgré eux.

On retrouve le style ciselé de Frédéric Pommier (auteur de Suzanne, en 2018), son choix des mots, un verbe imparable, son ton (on l’entendrait presque vous lire ses récits) et sa manière de conjuguer l’empathie, la compassion et ce détachement qui lui permet de si bien réussir ses tableaux.

Le Quart d’heure de célébrité, Frédéric Pommier, Radio France/Les Équateurs, 304 pages, 22 euros.

Littérature
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