James Lee Burke, de plus en plus noir
La plume de James Lee Burke sait, en peu de mots, suggérer des mondes.
dans l’hebdo N° 1612 Acheter ce numéro
James Lee Burke est, à mon humble avis, et pour le dire en contenant un peu mon élan, l’un des plus prodigieux écrivains de la littérature états-unienne. Il n’est certes pas un auteur facile : chez cet éblouissant styliste pétri de son Sud natal, la beauté fulgurante – le mot est pesé – de certaines pages se mélange d’une âpreté qui, au fil des années, devient toujours plus rêche.
Car, comme lui, semble-t-il – qui a toujours mis beaucoup de lui-même dans ses romans (de plus en plus) noirs –, et au fur et à mesure qu’il vieillit, son héros de prédilection, Dave Robicheaux, dont une vingt-deuxième aventure louisianaise (1) – on l’a vu faire dans de précédents livres quelques détours par le Montana – vient d’être (fort bien) traduite par Christophe Mercier chez Rivages (2), porte sur le monde et sur ses contemporain·es (dont il voit, il est vrai, dans ses fonctions policières, et dans une Amérique désormais trumpisée, les plus sinistres obscurités) un regard toujours plus contristé. De sorte qu’il se raidit parfois dans une rudesse brutale qui lui fait proférer, à l’unisson de son fantasque et viril(iste) comparse Clete Purcel, des assertions dont le tranchant peut faire regretter, à la lecture, l’altruisme, toujours inquiet mais moins incertain, dont il faisait preuve jadis et naguère, et que trop de vicissitudes semblent avoir un peu corrodé.
Reste, complètement intact, et pour qui veut bien passer outre ces duretés, l’extraordinaire flamboiement de la plume de James Lee Burke, à nulle autre pareille, et qui, en peu de mots, sait suggérer des mondes – comme cela se vérifie encore une fois avec ce nouvel opus : « Desmond n’était pas seulement né dans la misère, à l’intérieur de la cabine d’un semi-remorque où sa mère avait ligaturé le cordon ombilical avant de disparaître définitivement, il avait été élevé par ses grands-parents pauvres sur la Réserve indienne de Chitimacha dans le fond d’un magasin général qui était à peine plus qu’une cabane étouffante. Il se dressait au bord d’un chemin au milieu de terres agricoles dépourvues d’arbres, où un peu d’ombre et un soda frais sur la galerie du bazar étaient considérés comme des luxes, avant que n’arrivent, venus du New Jersey, les exploitants de casinos qui, aidés par l’État de Louisiane, convainquirent un grand nombre de gens qu’un vice est une vertu. »
Cela, du moins, reste une merveille.
(1) New Iberia blues, 560 pages, 23,50 euros. Pour mémoire – et pour aider peut-être celles et ceux qui n’auraient encore jamais rien lu de James Lee Burke à mieux situer son œuvre –, l’une des premières enquêtes de Robicheaux – peut-être la plus fameuse, publiée en France en 1994, également chez Rivages – a fait l’objet, en 2009, d’une brillantissime adaptation pour le cinéma, réalisée par Bertrand Tavernier, avec dans les rôles principaux – excusez du peu – Tommy Lee Jones et John Goodman : Dans la brume électrique.
(2) Où Burke a longtemps eu pour traducteur l’extraordinaire Freddy Michalski, décédé en mai dernier.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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