L’abstention, vainqueur inquiétant
Les enseignements pour la suite sont à relativiser avec ce scrutin massivement boudé et qui concernait surtout les grandes villes.
dans l’hebdo N° 1610 Acheter ce numéro
Au-delà des résultats, dont on peut se féliciter, le cru 2020 des élections municipales restera comme une tache sombre dans l’histoire de notre démocratie. Trois mois après un premier tour déjà bouleversé par la crise du Covid-19, le second round a été marqué par un taux de participation en berne : 41,6 % contre 62,1 % en 2014. Malgré des précautions sanitaires exceptionnelles et le reflux de l’épidémie, une large majorité des 16,5 millions d’électeurs appelés à voter dans 4 820 communes ont boudé les isoloirs. Cette abstention inédite dans l’histoire des municipales, scrutin de proximité s’il en est, s’inscrit certes dans le contexte d’une crise sanitaire sans précédent, qui a quasiment empêché les candidats de faire campagne, trois mois après un premier tour déjà marqué par une forte abstention. Elle n’en constitue pas moins un triste record qu’il serait trop facile d’expliquer par la seule crainte d’attraper le virus en allant voter.
Si cette crainte arrive en tête des motivations des abstentionnistes (43 %), mesurées dans un sondage Ipsos-Sopra Steria, ils sont aussi 38 % à mettre en avant le sentiment que ces élections ne changeraient rien à leur quotidien et 27 % à estimer qu’aucune liste ou candidat ne leur convenait.
Il n’y a guère plus que la présidentielle qui mobilise les électeurs. En 2017, après une participation à cette élection de 77,8 % au premier tour et 74,6 % au second, moins d’un électeur sur deux s’était déplacé pour élire son député : la participation avait été de 48,7 % puis 42,6 %. L’an dernier, aux européennes, à peine un électeur sur deux (50,1 %) s’était rendu aux urnes. Cette désaffection des citoyens pour les élections suscite, selon l’Élysée, la « préoccupation » d’Emmanuel Macron, pour qui cette abstention n’est « pas une très bonne nouvelle ». Jean-Luc Mélenchon y voit, lui, « une forme d’insurrection froide ». Quand près de six électeurs sur dix boudent le chemin des urnes, c’est en effet le signe d’une démocratie malade. Et sans doute – la crise des gilets jaunes en était déjà révélatrice – la marque d’une profonde contestation des institutions.
Celle-ci reste davantage marquée dans les villes et bureaux de vote populaires que dans ceux des populations aisées. L’abstention est ainsi particulièrement forte à Sevran (Seine-Saint-Denis) ou Vitry (Val-de-Marne), où elle atteint respectivement 74,7 % et 77,4 %. À Melun (Seine-et-Marne), où elle s’affiche à 77,1 %, elle culmine à 86,3 % dans le quartier nord de la ville, contre 63,2 % dans le sud, plus huppé.
Cette abstention record ainsi que la nature particulière de ce second tour devraient inciter à en relativiser quelque peu les résultats. La loi n’exigeant aucune participation minimale pour valider un scrutin, les résultats de dimanche sont acquis, comme l’ont été ceux du premier tour. Il n’est toutefois pas interdit de s’interroger sur la légitimité que confère un vote acquis dans un tel contexte. Selon une recension du site francetvinfo, une centaine de maires ont été élus cette année par 15 % ou moins des électeurs inscrits. C’était le cas de Gérald Darmanin et de plusieurs ministres élus au premier tour. Le surcroît d’abstention, la multiplication des triangulaires et quadrangulaires n’ont fait qu’accentuer le phénomène. Michèle Picard (PCF) à Vénissieux, Martine Aubry (PS) à Lille, Maryse Joissains-Masini (LR) à Aix-en-Provence, Frédéric Laporte (LR) à Montluçon ou Jeanne Barseghian (EELV) à Strasbourg doivent leur victoire respectivement à 9,9 %, 12,34 %, 14,4 %, 11,77 % et 15,03 % des électeurs. À Mulhouse, la candidate de droite Michèle Lutz a même été réélue en n’obtenant le soutien que de 9,25 % des électeurs inscrits.
Si le crash de La République en marche est indéniable – elle n’emporte aucune nouvelle ville et ses alliances anti-écolos d’entre-deux tours sont désavouées par les électeurs –, la poussée des listes d’union conduites par des candidats EELV, la bonne tenue du PS dans ses bastions, les maigres victoires du Rassemblement national, la bonne résistance du parti Les Républicains, qui revendique gérer « plus de la moitié des communes de plus de 9 000 habitants », demandent en revanche d’être appréciées au regard des caractéristiques de cette élection afin d’éviter d’en tirer des conclusions trop hâtives en prévision d’autres scrutins.
Les municipales restent un scrutin local et ce second tour était d’autant plus particulier qu’il ne concernait que 13 % des communes et 38 % de la population, essentiellement des grandes villes, dont l’électorat a ses spécificités. Composée majoritairement de cadres supérieurs relativement jeunes, qui ont voté souvent à gauche, la population de ces villes est généralement plus diplômée que la moyenne, avec des revenus assez élevés. Les candidats EELV s’épanouissent là dans un écosystème favorable. Il l’est moins dans les villes moyennes et les banlieues défavorisées, moins encore dans les zones rurales. Or tous ces votes comptent lors d’un scrutin national comme la présidentielle, vers lequel certains regardent déjà.