L’heure de l’écologie
Les victoires historiques de listes structurées ou soutenues par EELV dans une vingtaine de grandes villes illustrent avant tout qu’un projet politique écologique devient crédible pour l’opinion.
dans l’hebdo N° 1610 Acheter ce numéro
Il y a quelque chose de profondément organique, qui réjouira les écolos, dans l’inimaginable coup de tonnerre que l’électorat vient d’asséner aux oreilles de la société française. Il était probable, et déjà considérable, que Lyon et Besançon rejoignent Grenoble dans le camp vert le 28 juin au soir. Mais Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Tours, Poitiers, Annecy, Colombes… Et presque Lille, Toulouse. Cette guirlande de victoires municipales assez bien réparties sur le territoire a des allures de champignonnière après la pluie.
Il s’agit d’un moment historique pour EELV, pilier des coalitions victorieuses ou pourvoyeur de leurs têtes. Cependant, la vraie percée nationale n’est pas tant celle d’un parti (qui ne l’emporte nulle part seul) que de l’écologie. Ajoutons : en ville. Il est très significatif que la vague verte de ce second scrutin ait déferlé sur de grandes agglomérations. Pollution de l’air, bruit, étranglement automobile, bétonnage, surchauffe estivale… La crise de l’environnement urbain parvient à un paroxysme, et l’écologie, devenue un sujet politique incontournable et prioritaire, aura suscité une surenchère de promesses écolos. Comme à Paris, où l’on a vu Rachida Dati (LR) et Agnès Buzyn (LREM), bien peu crédibles sur ce terrain, se piéger au jeu du « plus vert que moi tu meurs » face à une Anne Hidalgo écolo-compatible depuis des années.
Cependant, c’est bien l’ensemble de la société française qui semble ouverte à une catharsis écologiste. En milieu rural, la tergiversation des pouvoirs publics face à l’élimination de pesticides aussi mortifères que le glyphosate mobilise des dizaines de maires et des centaines de milliers de personnes. Le dérèglement du climat est devenu une évidence saisonnière. La canicule a frappé dès le mois de mai. La cause animale s’est installée dans le débat public. La semaine dernière, une vidéo de l’association L214 exposait des sévices sur les agneaux à l’abattoir ovin de Rodez : dès le lendemain, le ministre de l’Agriculture ordonnait le retrait de son agrément.
Plus largement, deux soulèvements sociaux, qu’on n’avait pas vu venir, ont marqué la société française ces derniers mois. Le mouvement des gilets jaunes, tout d’abord. Né en opposition à une augmentation de la taxe sur le diesel, il a eu le mérite de provoquer une réflexion sur les conséquences sociales de politiques environnementales trop technocratiques, et même un début de cohérence entre gilets jaunes et écologistes : comment concilier les préoccupations pour « les fins de mois » et « la fin du monde ». L’autre mouvement surprise, c’est celui des jeunes pour le climat. Après la colère née de la fracture sociale, l’interpellation générationnelle tape juste et fort elle aussi. « À quoi bon étudier pour notre avenir si vous ne faites rien pour le préserver ? », assène aux gouvernements la jeune Suédoise Greta Thunberg pour justifier une « grève de l’école pour le climat » qui s’est répandue sur la planète. Le résultat inespéré de la liste Jadot (EELV) lors du scrutin européen de mai 2019 (13,5 %, troisième place) le doit en grande partie à un vote jeune d’ampleur inattendue. Cinq mois plus tôt, la pétition l’Affaire du siècle accusant l’État d’inaction climatique avait recueilli deux millions de signatures au bout de trois semaines seulement. Selon un récent sondage pour Greenpeace, 76 % des personnes considèrent légitime que l’État soit contraint par la justice à agir pour respecter l’accord de Paris sur le climat (ce qui est mal parti). Et la crise du Covid-19 a exacerbé un désir de mutation qui appelle des solutions écologiques (vélo, nature en ville, etc.)
« Culturellement, nos idées sont devenues majoritaires », se convainquait le mouvement écologiste, qui restait perplexe devant une « majorité politique » qui se refusait. L’heure a sonné le 28 juin dans une dizaine de grandes villes. Elle aura un impact psychologique national durable, même si le niveau de l’abstention relativise la portée de la vague verte. Car rien n’indique qu’une participation « normale » aurait émis un signal différent. Depuis 2014, l’expérience grenobloise prouve avec Éric Piolle que des écologistes peuvent conduire, en alliance, un programme de transformation sociale ambitieux dans une grande ville. Et c’est un personnel politique très renouvelé, souvent adepte de processus démocratiques exigeants, qui a gagné la confiance de l’électorat ce dimanche. Le cas de Poitiers est le plus démonstratif. Femme, jeune (30 ans), écologiste, la nouvelle maire, Léonore Moncond’huy, est issue d’un mouvement participatif créé il y a deux ans, auquel se sont ralliés EELV, Nouvelle Donne, Génération·s, le PCF, Génération écologie et le mouvement À nous la démocratie.