Macron fait son marché citoyen
Le Président rejette trois mesures emblématiques de la Convention pour le climat, temporise sur d’autres et, surtout, garde son logiciel : économie, croissance, secteur privé.
dans l’hebdo N° 1610 Acheter ce numéro
Au lendemain de victoires retentissantes pour les écologistes – et l’écologie – aux élections municipales, Emmanuel Macron a rendu public le « filtre » auquel seront soumises les propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC). En deux mots : lui-même. Dans un jardin de l’Élysée aussi verdoyant que les discours du Président, la plupart des 150 citoyens ayant participé à cette aventure l’ont écouté égrener à la fois son propre bilan et son avis sur leurs neuf mois de travail. Après les compliments sur « l’intelligence collective », cette expérience de « démocratie délibérative qui enrichit la démocratie parlementaire » et « l’ambition de ce projet humaniste », Emmanuel Macron a asséné que « le temps est venu de faire, d’agir ». Un aveu que le bilan écolo de ses trois ans de gouvernance n’était que des paroles ?
Dans la foulée, le Président a dégainé trois jokers. Le premier concerne le passage de 130 km/h à 110 km/h sur autoroute, arguant qu’il épargne ainsi aux 150 de voir leur travail réduit à une polémique – référence explicite aux 80 km/h et aux gilets jaunes. En réalité, il s’épargne à lui-même une éventuelle poudrière pouvant faire descendre de nouvelles colères dans la rue. Ensuite, par une antithèse bien ficelée, il a sauvé la bourse des entreprises tout en reconnaissant leur importance dans la lutte contre le réchauffement climatique : « Pour concilier écologie et économie, le secteur privé a un rôle à jouer. C’est notamment pour cela que je suis en désaccord avec la taxe de 4 % sur les dividendes », qui pourrait effrayer les investisseurs. Précision : la CCC visait les entreprises distribuant plus de 10 millions d’euros par an de dividendes. Enfin, Emmanuel Macron a retoqué l’idée d’inscrire l’écologie dans le préambule de la Constitution, et donc de la soumettre à référendum, pour « ne pas mettre le droit de la nature au-dessus du droit humain ». Pour tenir une partie de ses promesses, il a accepté de soumettre à référendum d’ici 2021 une idée plus consensuelle : l’introduction des notions de « biodiversité, d’environnement, de lutte contre le réchauffement climatique » dans l’article 1er de la Constitution. Une belle victoire quand même. Tout comme ses engagements sur l’aménagement du territoire, notamment le moratoire sur les nouvelles zones commerciales en périphérie des villes.
Tout cela ne suffit pas à dissimuler les véritables blocages pour « aller plus loin, plus fort » : les œillères libérales du chef de l’État sont indéboulonnables. S’il a bien promis « 15 milliards d’euros supplémentaires sur deux ans pour la conversion écologique de notre économie » dès le plan de relance voté à la fin du mois, il a célébré le fait que la Convention n’ait pas choisi « la voie de la décroissance, de la réduction de l’activité ». En bref : gardons l’économie comme fil rouge de toute décision, continuons de produire et engageons-nous dans la voie de la croissance verte – source d’intenses débats chez les écologistes.
Pourtant, les citoyens de la CCC, désormais réunis au sein de l’association Les 150, ont mis l’accent dès le début sur l’interdépendance des mesures, qui apporte de la cohérence à leur projet. « Nous ne proposons pas un menu à la carte, a averti Mélanie, l’une des oratrices. Monsieur le Président, en 2020, il faut cesser de mettre les gens et leurs actions dans des cases ! Aujourd’hui, il n’est plus question d’être écolo ou non. Réduire notre empreinte carbone, respecter la planète est une question de bon sens, pour tous. »
Tout sourire et extrêmement détendu, Emmanuel Macron a joué de toute sa palette d’émotions pour amadouer, séduire, convaincre et garder son titre autoproclamé de « champion de la Terre ». En réalité, il temporise. En créant des groupes de travail pour assurer le suivi des mesures, en acceptant de soumettre d’autres propositions à référendum, en reportant des sujets au niveau européen (taxe carbone) et international (crime d’écocide soumis à la Cour pénale internationale) et en promettant d’autres conventions citoyennes… In fine, il reste le maître des horloges et sait parfaitement comment jouer la montre. Or c’est un chronomètre qu’il faut pour traiter l’urgence climatique…