Macron se réinvente sans changer
Quand on lui demande en quoi consiste cette fameuse « réinvention » promise aux Français, le président de la République répond « changement de Premier ministre », « changement d’équipe ». C’est maigre.
dans l’hebdo N° 1612 Acheter ce numéro
À la date du 14 juillet 1789, Louis XVI avait écrit un seul mot sur son journal intime : « Rien ». On serait tenté de l’imiter après l’entretien qu’Emmanuel Macron a accordé à deux journalistes, ce 14 juillet 2020, à l’Élysée. Rien, ou pas grand-chose. Rien en tout cas qu’on ne sache déjà. Quand on lui demande en quoi consiste cette fameuse « réinvention » promise aux Français, le président de la République répond « changement de Premier ministre », « changement d’équipe ». C’est maigre. Même s’il a tenté de nous convaincre que le gouvernement respecte un impeccable équilibre gauche-droite. Mais il parle aussi de changement de méthode. Et le voilà qui se livre à une vibrante apologie du « dialogue social », promettant de se rapprocher « des élus de terrain ». On sera vite fixé puisqu’il a annoncé l’ouverture d’une vaste négociation où « tout sera mis sur la table », dès ce vendredi. Et notamment la fameuse réforme des retraites. Sur cette question névralgique, on l’a senti à la peine. « Je vais, a-t-il dit, m’en remettre à la discussion. » Mais qu’adviendra-t-il s’il n’y a pas d’accord ? Macron change de conversation : « La priorité, c’est l’emploi. » L’emploi des jeunes en particulier. Et les nouveaux emplois de transition écologique qu’il entend financer grâce aux aides européennes résultant de l’accord franco-allemand.
Au chapitre de la continuité dans la continuité, la justice – ou l’injustice – fiscale et sociale. Revenir sur l’ISF, pas question ! Ne surtout pas décourager les riches d’investir dans notre pays. À propos des entreprises qui exigent de leurs salariés qu’ils réduisent leurs salaires pour sauver leur emploi, il est inconvenant de parler de « chantage ». Parlons plutôt de « dialogue social ». Que du classique néolibéral ! On invitera tout juste les grandes entreprises à la « modération des dividendes ». À leur bon cœur. Tout de même, ceci, qui n’est pas nouveau dans le discours, mais qu’il faut noter : un encouragement à produire local. À part ça, une longue et inutile digression sur les gestes barrières semblable à ce que nous disent chaque soir les médecins conseils des journaux télévisés. Et beaucoup de philosophie politique. Genre dans lequel Emmanuel Macron excelle : ses propres doutes, ce pays « qui manque de confiance en soi », et ces « passions tristes » qui nous paralysent. Et dans cette phase introspective de début d’entretien, cet aveu plus inquiétant que rassurant : le président de la République se fait reproche de n’être pas allé « assez vite » sans que jamais l’orientation ne soit mise en cause.
Le Président a sans doute laissé à son Premier ministre un sujet sur lequel il était attendu. C’est peut-être Jean Castex qui annoncera dans son discours de politique générale le retour d’un Haut-Commissariat au plan. Après avoir peu et mal prévu, Emmanuel Macron va donc tenter de se faire prophète. Un homme, aujourd’hui oublié, a incarné mieux que quiconque l’esprit du plan, qu’il définissait comme « l’anti-hasard » : Pierre Massé. Lorsque Giscard torpilla le haut-commissariat, ce fonctionnaire ultra-jacobin bonaparto-gaulliste eut ce mot qui n’aurait pas déplu à Mélenchon : « Supprimer le plan au nom d’un libéralisme impulsif, ce serait priver le pouvoir d’une de ses armes contre la dictature de l’instant. » Massé avait d’autres défauts que notre époque ne tolérerait plus. Cet ancien patron d’EDF était un productiviste et un énergivore forcené. Justement, on se demande ce que Macron va pouvoir faire de son plan dans une ambiance néolibérale qui nous livre plus volontiers aux humeurs des marchés qu’à une volonté politique bien ordonnée. Confié au centriste libéral Bayrou, le nouveau haut-commissariat risque fort de ressembler davantage à ce qu’en fit Giscard, c’est-à-dire un vague institut de prospective, plutôt qu’à « l’ardente obligation » voulue par de Gaulle.
En fait de plan, c’est pour l’instant plutôt le plan de relance qui nous parle : des milliards déversés à des entreprises sans vraiment de contreparties sociales, ou écologiques. On ne risque pas aujourd’hui d’entendre Macron stigmatiser le « libéralisme impulsif » que redoutait Massé. Son plan va-t-il seulement nous dire combien la France aura de médecins dans vingt ou trente ans, la part qui sera celle de nos énergies renouvelables, ou ce que seront nos transports publics et nos services du même nom ? Improbable. Le « Ségur de la santé », dont il n’a pas été question mardi, ne nous a pas dit ce que sera notre système de santé. Certes, l’augmentation de 183 euros pour tous les personnels hospitaliers est un bon début, tout comme la promesse de créations de postes. Mais on ne touche surtout pas à la logique qui préside au système actuel. Pas question de rendre le pouvoir aux médecins, ni d’estimer les besoins avant de fixer des impératifs budgétaires. La réinvention, c’est pour l’instant Jean Castex à Matignon.
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