Municipales : Vert qui rit, PS qui revit, PCF qui survit

Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, le lui avait dit, le 22 juin, quand ils étaient tous les deux en visite à Marseille : « Le 28 juin au soir, plus rien ne sera jamais pareil. » Est-ce parce qu’il repensait à ces mots que Julien Bayou, chef de file d’Europe Écologie-Les Verts, affichait une mine grave et sérieuse au soir du second tour des municipales ? « Nous sommes heureux et modestes », annonçait-il devant une petite assemblée – Covid-19 oblige –, réunie au Hang’Art, un restaurant solidaire sur les quais du canal de l’Ourcq, à Paris. Heureux, ils peuvent l’être : après la vague de départs de leurs cadres pour le PS puis pour LREM et une défaite cuisante, partagée avec Benoît Hamon en 2017, les observateurs politiques ne donnaient pas cher de la peau des écologistes. Et pourtant ! Depuis les européennes où la liste portée par Yannick Jadot a créé la surprise (13,4 %), les Verts n’en finissent plus de remonter. « On est entrés dans le Top 14 », se félicite Noël Mamère, ex-maire de Bègles, « un territoire de rugby », précise-t-il.

Ce 28 juin au soir, la liste des villes passant sous drapeau vert n’en finit plus de s’allonger : Lyon, Bordeaux, Tours, Marseille, Poitiers, Besançon… Qui aurait pu en prédire autant ? « Personne ! », explique Marine Tondelier, candidate (défaite) à Hénin-Beaumont. Même Yannick Jadot, présent sur le plateau de France 2 quand il apprend la victoire de Pierre Hurmic à Bordeaux, ne peut retenir un immense sourire, suivi d’un bruyant « Ah oui ! » « Ils doivent avoir sacrément de seum [expression pour illustrer l’amertume] ce soir, François de Rugy et Barbara Pompili », s’amuse, sur Twitter Benjamin Lucas, porte-parole de Génération·s. Même à Strasbourg Jeanne Barseghian a arraché la victoire face au candidat de l’alliance LREM-LR et à la socialiste Catherine Trautmann, qui s’était maintenue. À Lille, la socialiste Martine Aubry l’a emporté d’un cheveu face au vert Stéphane Baly, à 227 voix près.

Mais s’il existe des cas où socialistes et écologistes n’ont pas su s’entendre, rendons à la gauche ce qui est à la gauche. Ces victoires écologistes, si elles ont bien été portées par les différents mouvements citoyens et associatifs en faveur du climat et de l’environnement, n’auraient pas été possibles sans ce mot et cette idée que nous affectionnons particulièrement à Politis : union ! Union des partis de gauche (PS, LFI, PCF, Ensemble !, Génération·s…) et des écologistes d’EELV. Union aussi autour de programmes locaux et concrets. À Marseille, Besançon, Bordeaux, ce sont des têtes de liste issues de l’écologie qui ont porté la victoire ; à Nancy et Montpellier, ce sont des socialistes. Car ceux qui considéraient naguère EELV comme des supplétifs sont eux aussi les grands gagnants de cette élection. À Paris, à Rennes, à Nantes… des maires socialistes, rejointes par les écologistes au second tour, ont gardé leur ville.

Au lendemain de ces municipales, c’est un duo qui se dessine à la gauche de l’échiquier politique. Interrogé sur les dissensions entre son parti et EELV à Strasbourg et à Lille, Pierre Jouvet, « monsieur élections » du PS, euphémise : « Le rassemblement n’a rien de facile, ces villes sont des cailloux dans nos chaussures. » Le parti d’Olivier Faure, qu’on donnait pour mort en 2017 – et dont le score aux européennes ne donnait pas de signes de vie tangibles – est revenu à lui avec ces municipales. Outre ses bastions conservés, le PS gagne de nouveaux fiefs : Nancy, Montpellier, Rouen, Villeurbanne, les deux Saint-Denis (Seine-Saint-Denis et La Réunion). Certains ont été conquis à la droite, d’autres à des partis amis. Comme une clepsydre, dont une cuve se vide progressivement dans l’autre, le PS s’est en partie refait une santé au détriment du PCF. La victoire du socialiste dit « Macron-compatible » Mathieu Hanotin à Saint-Denis marque la chute d’un bastion pour le parti de Fabien Roussel. Les communistes perdent ici leur plus grosse ville (110 000 habitants). Et s’ils se félicitent d’avoir repris à l’UDI Bobigny, Noisy-le-Sec, Villejuif et Corbeille-Essonnes en Île-de-France, est-ce pour mieux masquer la perte des villes historiques de Choisy-le-Roi et Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), Arles (Bouches-du-Rhône) ou encore Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) ? « Soirée contrastée pour les communistes », titrait L’Humanité.

« Toute prétention à l’hégémonie conduirait dans le mur. À gauche, personne ne gagne seul », indiquait Ian Brossat dans ce même numéro de L’Huma. Discours volontiers partagé par Olivier Faure : « La gauche sociale et écologiste, quand elle est divisée, elle n’intéresse personne. » Un constat, ou une mise en garde à l’adresse d’EELV ? « La tentation de l’autonomie est forte chez eux », prévient un socialiste. Car à gauche, et au-delà de chacune des victoires que les uns ou les autres sont parvenus à arracher au fil de l’histoire de la V^e République, c’est la tentation de l’hégémonie que l’on retient. PCF et PS sont passés par là ; La France insoumise – cruellement absente de ces élections – en revient tout juste, pour peut-être y retourner à la prochaine présidentielle. Tous le savent : la victoire ne dure qu’un temps. Et à la fin, ce sont toujours les mêmes (la droite, les libéraux, l’extrême droite…) qui gagnent. Mais au Hang’Art, ce 28 juin, rien ne semblait prêter aux écologistes cette intention. « Discutons [avec les autres partis]_, rassemblons sans relâche ! »,_ appelait Julien Bayou dans son discours. Quant à savoir comment, et quand se tiendront ces discussions, quelques perspectives déjà se dessinent. À l’automne, une grande université rassemblant toute la gauche et une partie de la société civile est en projet. L’occasion, peut-être, d’échanger sur les échéances électorales : régionales et départementales d’abord (mars 2021), puis la sacro-sainte présidentielle l’année suivante. Attention toutefois à ne froisser personne. « On fera comme les oursins quand ils font l’amour », nous explique Julien Bayou, un sourire en coin. C’est-à-dire ? « Avec précaution », s’esclaffe-t-il.