Politiques de sécurité : aux armes, citoyens !
Et si la démocratie participative pouvait contribuer à restaurer la confiance de la population envers les forces de l’ordre ?
dans l’hebdo N° 1613-1615 Acheter ce numéro
Conférences citoyennes de consensus, convention citoyenne pour le climat, RIC… La démocratie participative a le vent en poupe. Pourtant, la France semble freiner des quatre fers lorsqu’il s’agit de s’en remettre aux citoyen·nes en matière de sécurité, quand bien même les liens entre la population et sa police se délitent. Inclure les citoyens dans l’élaboration des politiques de sécurité pourrait-il rétablir ces liens ? De nouvelles manières de faire pourraient-elles renouer la confiance ?
Des chercheuses de l’École nationale de travaux publics de l’État (ENTPE) ont fait ce pari avec les jeunes d’un centre social de Vaulx-en-Velin, une banlieue lyonnaise dont l’histoire est émaillée de violences policières et d’émeutes. « On retrouve les mêmes problèmes dans les quartiers dits sensibles, constate Anaïk Purenne, -sociologue à l’ENTPE. Les jeunes y sont toujours des cibles de l’action publique, mais ils ne sont jamais considérés comme de potentiels partenaires. La sécurité, ce n’est pas que la police : les citoyens y ont aussi une place. Je mise beaucoup sur l’intelligence collective. »
Le projet, baptisé « PoliCité69 », aboutit à l’organisation d’une conférence citoyenne de consensus, fin 2018, réunissant des citoyens « profanes » – sans connaissances particulières sur le sujet – et des membres des forces de l’ordre. « Au début, les policiers et les gendarmes étaient réticents à parler des problèmes de contrôles au faciès, se souvient Anaïk Purenne. Puis ils ont vu que le climat était serein, donc ils se sont complètement saisis de la question. Ils ont même proposé de lancer un chantier national sur l’efficacité des contrôles d’identité et leurs effets pervers. Un vrai décloisonnement de la police ! » Sceptiques au début, deux gendarmes reproduisent l’expérience dans leur caserne de l’Yonne.
À lire notre dossier complet dans Politis 1612 : « Où va la police ? »
Et la suite dans Politis 1613-1614-1615 : « La raison d’être de la police n’est pas enseignée » Une déficience de la formation bien connue Quand la maison enquête sur la maison Témoignages : Ce que serait une « bonne » police Police et jeunes : l’exemple à suivre
Emballée, Anaïk Purenne caresse à présent l’espoir de créer une convention citoyenne sur la sécurité, sur le modèle de celle pour le climat : « Des chercheurs sont déjà prêts à réfléchir à la question. Mon souhait, un peu utopique, serait de faire des territoires “zéro contrôle d’identité” pour en finir avec l’animosité des jeunes envers la police. »
La police de sécurité du quotidien : insuffisante
Pour arriver aux mêmes fins, l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb n’a pas misé sur la démocratie participative, mais sur la police de sécurité du quotidien (PSQ). Sorte de fantôme de feu la « police de proximité », abandonnée sous Sarkozy, la PSQ est lancée en 2018 dans quinze quartiers populaires estampillés « quartiers de reconquête républicaine » (QRR). Un terme éloquent. Un an plus tard, le ministère de l’Intérieur annonce que la PSQ a tenu ses promesses. La première, « le sur-mesure », prétend-il dans son dossier de presse : « Placer le bon agent au bon endroit, spécialement formé pour lutter contre la délinquance du territoire où il est en poste. » Mais aussi : « La confiance. Nous devons tisser un lien inébranlable entre les Français et leurs forces de l’ordre et permettre, partout, le respect de l’uniforme et de l’action des policiers et des gendarmes. » L’expérience est donc étendue en 2019, avec 32 nouveaux QRR. Dix mille gendarmes et policiers sont censés être recrutés d’ici à 2022.
« On met en place la “police de sécurité du quotidien” mais on ferme des commissariats pour les rassembler dans des grands centres : on éloigne le policier de son terrain, c’est absurde ! » déplore Gérard Dubois, ancien commissaire à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise). Son commissariat a été l’un des premiers à expérimenter la regrettée police de proximité, au début des années 2000. « C’était un bon outil. On a formé massivement nos policiers à l’histoire du quartier, des communautés qui y vivaient, mis en place des rencontres… Mais on a manqué de moyens : avant qu’on ait pu affiner le projet, lacunaire, le politique a généralisé le processus pour des raisons électorales. » Rapidement, les critiques pleuvent : la délinquance n’a pas baissé, disait-on. « On a eu une augmentation des affaires révélées, c’est normal : on a tissé des liens, les gens parlent et révèlent des faits, notamment en matière de violences intra-familiales, ou de voisinage… » L’absurdité de la politique du chiffre permet à Nicolas Sarkozy d’enterrer la police de proximité en 2003.
Quinze ans plus tard, la PSQ tente de rectifier le tir. Mais, là encore, l’évaluation du nouveau dispositif se résume à un égrenage de chiffres. La promesse de « tisser un lien inébranlable entre les Français et leurs forces de l’ordre » a disparu de l’équation. « On s’est éloigné de la police de sécurité pour surinvestir la police d’ordre, soupire Gérard Dubois. Aujourd’hui, cette police d’ordre est dépassée. Il faut la moderniser en réinvestissant la police dite de sécurité. » Une police dans laquelle le citoyen a toute sa place.
La France timorée
Le ministère de l’Intérieur semble aboutir à un constat similaire. En janvier dernier, il lance une timide tentative d’associer la population aux politiques de sécurité via le « livre blanc sur la sécurité intérieure ». « Il y a eu des assises territoriales avec les citoyens, mais le ministère a très peu communiqué dessus », se souvient Anaïk Purenne, qui y a participé à Lyon. Sa collègue Hélène Balazard, politiste à l’ENTPE, renchérit : « Le livre blanc n’a eu aucun effet. Ça a juste délégitimé la démocratie participative aux yeux des gens. »
Pour Abdoulaye Kanté, policier investi dans l’Agora (association qui organise des discussions entre citoyens, policiers et magistrats), il est nécessaire de faire connaître au citoyen le fonctionnement de la police, mais de là à l’inclure dans des instances décisionnelles… « Ce n’est pas au citoyen de nous dicter ce qu’on doit faire. Force doit rester à la loi. On ne peut pas faire de la police à la carte. » Des propos nuancés par le président de l’Agora, Christophe Korell, ex-policier, pour qui « le citoyen pourrait avoir sa place au conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance [instance décidant d’une stratégie territoriale, NDLR], _par exemple »__._
Si la France reste timorée sur la question, à l’étranger, la démocratie participative en matière de sécurité s’est bien développée. « À Londres, dans chaque commissariat d’arrondissement, il y a des groupes d’évaluation de la police composés d’habitants du quartier, explique Hélène Balazard, dont la thèse a porté sur ce sujet. Ils ont accès à toutes les données du commissariat pour vérifier si une personne n’a pas été contrôlée abusivement, par exemple. Les policiers trouvent ça normal. »
Outre-Atlantique, « à Montréal, les agents de police-secours se sont rendu compte qu’ils étaient appelés majoritairement pour des problématiques de santé mentale, raconte Anaïk Purenne, qui a travaillé sur la police canadienne. Les associations professionnelles des forces de l’ordre en ont conclu qu’il y avait une aggravation des problèmes sociaux qui pesait sur leur travail et que leurs modes d’action étaient contre-productifs. Ils ont alors développé des équipes mixtes formées de policiers et de travailleurs sociaux. » Dans les deux cas, les forces de l’ordre bénéficient d’un meilleur soutien de la population locale, qui leur permet d’accomplir leur travail plus efficacement.
En France, la question des relations police-population s’impose dans le débat, mais peine à se matérialiser. « Je pense que les syndicats de police sont un des gros freins, affirme Hélène Balazard. Alors que les policiers sur le terrain veulent avancer avec la population, identifier les problèmes, discuter et trouver des solutions ensemble. Il y a aussi un blocage politique. Le gouvernement Macron est très technocratique, il ne fait pas confiance au bas peuple. Le plus gros blocage, c’est cette élite technocratique et son entre-soi : ce sont eux, les vrais séparatistes. »